« Le sténopé, c'est comme un œil »

Laurie Bhang aime l'humain et passe son temps à le photographier, mais pas comme tout le monde. Dans sa recherche du nue, cette jeune artiste privilégie le sténopé, un appareil photo artisanal. À l'occasion de son exposition "Ser y Estar" au Bauhaus bar, explications avec elle sur cette pratique qui oscille entre poésie et naturel. Charline Corubolo


Qu'est-ce que le sténopé ?

Laurie Bhang : Ça peut être deux choses : soit le dispositif dans son ensemble, autrement dit l'appareil photo, soit le petit trou qui remplace l'objectif d'un appareil. Pour ma part, je fais référence à l'appareil photo. Le sténopé, c'est comme l'œil : c'est une boîte qu'on ouvre, la lumière y entre et l'image se forme sur du papier. C'est un dérivé de la camera obscura.

Est-il possible de faire soi-même un sténopé ?

C'est l'idée du sténopé, tout fabriquer soi-même. La boîte peut-être en carton, en métal, en bois, du moment qu'elle est hermétique à la lumière. Il faut quand même la préparer en peignant l'intérieur en noir pour que la lumière ne se reflète pas, puis faire un trou pour l'ouverture. On referme la boîte pour y glisser du papier à l'opposé du petit trou. Reste plus qu'à prendre la photo.

Qu'en est-il du temps d'exposition, du moment pour prendre la photographie ?

Le temps d'exposition est relatif à l'appareil utilisé. Plus la distance est grande entre le papier et le trou, plus le temps est long. Mais il y a aussi d'autres facteurs : lumière naturelle ou artificielle, en intérieur ou en extérieur, en journée ou la nuit. Moins il y a de lumière et plus le temps est long, car la photographie c'est quoi ? C'est écrire avec de la lumière.

Dans l'exposition, certaines photographies sont en noir et blanc et d'autres en couleurs. En pratique, comment ça se marche ?

Pour du noir et blanc, il faut utiliser un papier photosensible. Le mieux, c'est de prendre une boîte à thé. On découpe le papier, on le met au fond de la boîte, on prend la photo, puis on la développe. C'est encore plus artisanal que la pellicule. En général, on commence par la papier, et après on passe à la pellicule. Quand c'est sur papier, il n'y a qu'une photo par prise, alors qu'avec la pellicule, on fait autant de photos qu'il y a de pauses sur le film.

Ces contraintes techniques limitent-elles les rendus ?

Pas du tout, comme on fabrique tout soi-même, on peut tout essayer. Si tu as envie d'avoir une photo colorée, il faut juste mettre un filtre devant le trou et la photo sera colorée. Tu peux aussi jouer avec le mouvement. Si le sujet bouge pendant le temps d'exposition, l'image sera comme surimprimée, il y a aura deux images en une.

C'est une technique moins précise que le numérique du coup ?

Encore une fois, pas du tout. Le rendu peut-être ultra net si le temps d'exposition est connu avec précision, qu'on utilise un trépied et que le sujet ne bouge pas. Alors la photo sera nette comme avec un numérique. J'aime les interactions et les filtrations de lumière, c'est pour ça que j'ai un rendu flou, ce n'est pas le sténopé qui veut ça.

Comment en êtes-vous venue au sténopé ? Pourquoi le privilégier plutôt qu'un autre appareil ?

J'ai découvert le sténopé en Argentine, il y a 4-5 ans. J'ai fait un atelier d'une photographe sténopiste que j'ai adoré, du coup j'ai continué mes recherches. Je me sens à l'aise avec cette technique dans le sens où tu es vraiment acteur de tout ce que tu fais : tu fais ton appareil, ta photo et tu la développes. Et puis ça m'impressionne de voir qu'on a besoin de rien pour faire une photo. Pour moi, c'est la technique idéale pour traiter les nues, c'est moins agressif qu'un autre appareil photo, plus poétique. Et comme le temps d'exposition est long, ça donne lieu à de vraies rencontres, contrairement au numérique.

Ser y Estar, jusqu'à mi octobre, au Bauhaus bar


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Gemma Bovery