Joe cool

Aux commandes de "Lost for Love", leur deuxième véritable album, Slow Joe & the Ginger Accident font plus que transformer l'essai d'une histoire incroyable qui aurait pu atteindre rapidement ses limites. En livrant justement un album qui voit grand et loin, sans vendre l'âme de toute façon déjà mille fois damnée de leur incroyable chanteur. Stéphane Duchêne


C'est une histoire d'amour musical qui aurait pu ne durer que le temps d'une lune de miel tant le coup de foudre fut fulgurant. Celle, on la rappelle pour la forme, d'un vieil indien de Goa vaguement guide touristique nommé Joseph Rocha, dit "Joe le Lent", croonant à la cantonade dès qu'il le peut, et d'un touriste musicien en goguette, Cédric de la Chapelle. Choc frontal entre deux mondes, entre deux âges ; maquettes, "rapatriement", buzz éclair, storytelling obligé, claques live (des Transmusicales 2009 changées en transe musicale) et tour de Grand 8, grand numéro présenté par un frontman qui détient sans doute le record du début de carrière le plus tardif de l'Histoire du rock.

 

Tout cela, la surprise passée, le reste épuisé, aurait pu partir en fumée, la lassitude gagner la troupe ou le chanteur (71 ans au compteur). Et nous voilà à écouter ce second véritable album baptisé Lost for love. Perdu pour l'amour. Mais pas perdu pour tout le monde. Car même à l'âge canonique de Joe, on continue de se bonifier, profitant sans doute au passage de la cure de jouvence délivrée par un groupe The Ginger Accident qui en impose dans le sillage du compositeur protéiforme Cédric de la Chapelle.

 

Bhollywood

 

Pour ce Joe au timbre toujours aussi singulier, raboté, tailladé, élimé, érodé par les années, la dope et l'alcool, ils ont cette fois concocté une bande son lumineuse que l'on pourrait résumer en un raccourci sémantique de bhollywoodienne. Où l'on trouve de la chair à canon tarantinienne (l'hypnotique The Eye of Death ; le très "Grand Chaparral à Bombay" Hum Diya) ; de la tragédie affligée de cordes qui cinglent caressées en drama queen par Yael Naïm sur l'auto-cover... Cover me over (comment ne pas penser au duo Lee Hazlewood-Nancy Sinatra ?), des ballades western-jazz délicatement cuivrées bourrées d'autodérision (Too Old to be loved), du psychédélisme forcément atavique (She's all women), de la soul infusée en pagaille...

 

Quand on tient un interprète – et une figure – comme Slow Joe, la tentation est grande de l'habiller de mille costumes, de faire défiler derrière lui les décors, de le gâter d'arrangements. On pourrait y voir la limite, un peu gourmande, de l'exercice. Mais aussi une infinie générosité musicale, doublée d'une envie de bouffer le monde. Et puis le dernier titre de l'album Waters of loneliness en atteste : dans cette tempête, Joe le chancelant, figure de proue exposée aux vagues musicales qui l'assaillent mais réfugié dans l'introspection, reste le même type "cool as hell" qui chantait sur la plage et que rien ne semble ébranler.

 

Slow Joe & the Ginger Accident, samedi 18 octobre à 20h30, à la Maison de la Musique (Meylan)


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