Les Gentils, petits plaisirs entre amis

Bienvenue dans le monde déjanté des Gentils, jeune compagnie iséroise adepte d'un théâtre généreux, non intimidant et très drôle fait avec à peu près tous les matériaux textuels possibles – dont beaucoup de chansons. À l'occasion de son passage par Eybens avec "La Carriole fantasque de Monsieur Vivaldi", sa plus grande réussite, zoom sur l'une des bandes d'acteurs les plus enthousiasmantes du moment. Aurélien Martinez


Depuis quelque temps, on entend beaucoup parler de la compagnie des Gentils. À Grenoble et dans l'agglo d'abord : du côté de l'Espace 600, salle qui leur a très vite ouvert les portes ; d'Eybens, une ville qui commence à bien les aimer, de Saint-Égrève où ils sont attendus en avril… Et en dehors de l'Isère aussi : du côté de Lyon où un grand théâtre jeune public (le TNG) leur a donné de beaux moyens l'an passé, d'Avignon cet été pendant le fameux festival, de plusieurs autres villes (Saint-Étienne, Macon, …) où ils sont programmés dans d'importants théâtres.

Oui, pour les Gentils, ça commence à bien marcher même si, comme dirait l'autre, nul n'est prophète en son pays : il est par exemple assez dingue de constater que, finalement, très peu de professionnels grenoblois de la culture connaissent cette compagnie à qui l'on avait pourtant décerné l'an passé le "PB award" du meilleur espoir théâtral ! En même temps, pas sûr que le statut de prophète intéresse tant que ça Aurélien Villard et toute sa petite bande.

« Populaire et accessible »

« Je viens de Saint-Antoine-l'Abbaye [un village isérois situé face au Vercors –  NDLR]. J'ai toujours eu envie de parler au plus grand monde, de faire un théâtre populaire et accessible pour des gens qui ne vont pas au théâtre, qui ne sont pas forcément "cultureux"... Un théâtre pour tous. » Bien sûr, le raisonnement n'est pas nouveau, et beaucoup de metteurs en scène affichent crânement les mêmes intentions. Mais dans le cas d'Aurélien Villard, la démarche est sincère. Avec lui et ses Gentils, nous avons ainsi affaire à un théâtre généreux, instinctif et non intimidant, comme en témoigne La Carriole fantasque de Monsieur Vivaldi, cabaret qui a déjà quelque 70 représentations derrière lui depuis sa création en 2012.

« Ça faisait des années que je voulais que l'on fasse un spectacle qui irait de place de village en place de village. Un jour, mon père a trouvé une vieille carriole qu'on a retapée pour voir. Comme on n'avait pas de dates ni de lieu, on s'est dit que c'était le moment ! Faire une pièce de théâtre pouvait être compliqué pour alpaguer des gens dans la rue. Du coup, on est partis sur l'idée d'un cabaret avec de vieilles chansons françaises. » Mais un cabaret théâtral ; les chansons choisies étant très narratives, elles permettent aux comédiens de jouer avec les histoires, de tisser des liens grâce notamment à ce fameux Monsieur Vivaldi, qui n'est pas celui que l'on croit...

Bref, de faire un spectacle à part entière. « On est dans l'expérimentation, dans l'écriture collective. » Et aussi dans le "Do it yourself", chacun mettant la main à la pâte en récupérant ici ou là divers matériaux pour les costumes ou encore le (fascinant) décor fait de bric et de broc. « "Do it yourself", et "together" ! À chaque fois, je lance une idée, une trame générale... Après, tout le monde propose et on construit ensemble sur un temps donné. »

Passé

Flashback : « La compagnie est née il y a neuf ans. J'étais jeune, je sortais du lycée, où j'avais écrit une pièce – Faire pleuvoir les anges. Il y avait le festival Textes en l'air dans mon village. Ils m'ont laissé une petite salle pour la présenter. J'avais monté ça avec ma petite sœur et deux amis qui ne faisaient pas de théâtre... Ensuite, je suis rentré au Conservatoire de Grenoble où j'ai rencontré la plupart de ceux qui sont dans la troupe aujourd'hui. » Une grande bande d'amis, comme on le voit tout de suite sur le plateau. « J'aime travailler avec des gens avec qui je m'entends sur scène et aussi dans la vie. Il n'y a jamais eu de casting, c'est avant tout une aventure humaine (rires). C'est plus une idée de troupe, même si on n'a pas d'argent pour en être vraiment une ! Mais on aspire à ça, en ayant pourquoi pas un lieu ensemble, en créant à l'année des choses, en jouant longtemps... Pour l'instant, c'est une compagnie, et l'on se retrouve sur des projets. Je leur dis : "qui est disponible cette semaine pour faire quelque chose ?". On travaille un peu comme ça, sur notre temps libre ou sur les vacances quand on était encore étudiants. »

Cette façon de faire s'est révélée pour le moins productive. « Avant, on n'avait que des ébauches de spectacle, que l'on jouait peu car on partait très vite sur le suivant. Je n'étais pas dans un désir de faire tourner nos créations, de les montrer au plus grand nombre... La Carriole fantasque de Monsieur Vivaldi est la première que l'on a envie de défendre tous ensemble. » Et qui du coup connaît un important succès, grâce à un public de fidèles qui viennent la voir plusieurs fois et font magnifiquement fonctionner le bouche à oreille. « Avoir du succès à la fin de la représentation, c'est chouette. Mais ça fait peur pour celle du lendemain. Par exemple, le fait que ça soit plein à Eybens, c'est complètement stressant. »

Avenir

La Carriole fantasque de Monsieur Vivaldi peut de fait être vue comme l'acte de professionnalisation de la compagnie, qui reste néanmoins toujours guidée par le même désir – celui de se positionner un peu à côté d'un monde théâtral ayant parfois tendance à fonctionner en vase clos. Créé en extérieur, le spectacle a dû être réajusté pour entrer dans une salle et conserver son énergie. Pari réussi : pendant une heure trente, la petite dizaine de comédiens, portée par un valeureux pianiste, interprète des chansons de Trenet, des Frères Jacques, de Bourvil ou encore d'Annie Cordy, souvent avec humour et ironie, et sans que cela sente le rance ou la pastille Vichy. « Ça fait des années que l'on fait du chant avec des comédiens. Du coup, on devient chanteurs petit à petit, même s'il y a beaucoup de boulot ! »

Alors certes, les Gentils ne sont pas encore confrontés au théâtre de répertoire censé légitimer un artiste (même si Aurélien Villard a déjà mis en scène un texte de l'auteur jeune public Sylvain Levet avec certains membres de la troupe), mais qu'importe, cette façon de faire leur va magnifiquement bien. « On aura le temps de faire du théâââââtre plus tard ! »

La Carriole fantasque de Monsieur Vivaldi, jeudi 18 et vendredi 19 décembre à 20h, à l'Odyssée (Eybens) et vendredi 10 avril à 20h30 à la Vence scène (Saint-Égrève)

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