Maudit soit qui mal y filme !

Séries B, Z, ou X, la septième édition du festival des Maudits films s'intéresse au cinéma d'exploitation en lettres capitales, des « cous rouges » américains aux culs rougis du porno français. Petit panorama des réjouissances… Christophe Chabert


La marge tient la page, dit (approximativement) l'adage godardien… Les pages de l'histoire du cinéma, elles, s'écrivent chaque semaine partout, du web aux derniers journaux papiers, de l'édition aux universités, selon le flux des sorties et des ressorties officielles, des hommages aux grands cinéastes disparus jusqu'aux études sur les nouveaux cinéastes contemporains. Mais la marge, elle, ne s'écrit pas. Elle reste vierge, à l'exception de quelques mordus en voie de disparition – au début du mois, le site 1Kult fermait ses portes, laissant derrière lui cette utopie d'une histoire du cinéma différent, sinon d'une différente histoire du cinéma.

Restent alors les festivals, précieux agitateurs d'images interdites car recalées par la distribution parce que ne parlant qu'à une "niche" (alors qu'elles finissent toujours par en sortir pour nous mordre les mollets) ou oubliées des cinéphiles. Cachez ces maudits films que l'on ne saurait voir, disent les prudes. Montrons une semaine de maudits films, leur répondent, bravaches, les membres du Centre culturel cinématographique de Grenoble, à l'origine du festival

À fond dans le X

Alors que, les années précédentes, la série B faisait majoritairement la loi sur la programmation, tandis que sa compétition, inaugurée en 2013, tentait d'exhumer quelques précieuses pépites n'ayant pu se frayer un chemin jusqu'aux salles obscures, les choses semblent se mélanger sauvagement en cet an de grâce 2015. Ainsi, sans le revendiquer explicitement, ce septième festival fait une large place au cinéma pornographique, d'hier ou d'aujourd'hui, comme si les temps particulièrement puritains que nous traversons nécessitaient plus d'amour, fut-il en gros plans.

Après un double hommage mardi soir à Bruce La Bruce, formidable cinéaste porno gay ayant récemment rendu son ouvrage le plus fréquentable avec le beau mais soft Gerontophilia, c'est l'exhumation d'une œuvre devenue rare de Paul Vecchiali qui fera l'événement ce mercredi : Change pas de main (1975, photo). Vecchiali, proche de la mouvance Biette-Daney des Cahiers du Cinéma, embarquait ses comédiens habituels (Hélène Surgère, Jean-Christophe Bouvet, Howard Vernon) dans une aventure politico-policiéro-porno qui a gagné ses galons cultes avec le temps. Sorti une semaine avant le décret réglementant le classement X, le film est une bizarrerie où la Nouvelle Vague croise les effluves du hard façon Jean-François Davy, producteur de la chose.

Aussi vintage que mythique, Gorge Profonde (1972) de Gerard Damiano est resté longtemps comme le film le plus rentable de toute l'histoire du cinéma américain ; il faut dire que les exploits bucco-génitaux de l'actrice Linda Lovelace ont fait voler en éclats quelques tabous et précipité les spectateurs, soudain affranchis, dans les salles, tout en créant quelques légendes au passage. De son financement douteux aux déclarations fluctuantes de la comédienne sur son consentement sur le plateau, l'histoire de Gorge Profonde est plus fascinante que le film lui-même, loin d'être le meilleur porno de la décennie 70's…

Enfin, ce panorama du sexe explicite se conclura par la projection, en compétition, d'un drôle d'objet, Catégorie X (2014) de Frédéric Ambroisine, où un film de commande (le making-of d'un porno de Jack Tyler) se transforme en réflexion sur l'évolution du cinéma X en France, peut-être arrivé à son crépuscule.

L'Amérique (très) profonde

De X à Z, il n'y a qu'une lettre à enjamber, ce que fera joyeusement le festival avec quelques trucs joyeusement pas possibles comme lors du double programme Grindhouse réunissant Sankukaï, les évadés de l'espace (1978), plus célèbre pour avoir enfanté la série ayant fait les beaux jours des après-midis de TF1 dans les années 80, que par la signature de son réalisateur, le génial Kinji Fukasaku, pas au meilleur de sa forme. Quant à Yor, le chasseur du futur (1983), il démontre que nos voisins italiens sont imbattables lorsqu'il s'agit de torcher un machin opportuniste et purement commercial, ici un sous-Conan futuriste mixé à La Guerre du feu. Bien Z aussi, Le Retour de la créature du lagon (1989), suite d'un des pires films de Wes Craven transformé en nanar kitsch, sinon camp.

Craven, en revanche, sera à l'honneur au cours du festival grâce à un de ses opus majeurs : La Colline a des yeux (1977). Certes, il a un peu vieilli ; certes, le remake d'Alexandre Aja est, par bien des aspects, nettement plus regardables aujourd'hui. Mais Craven avait l'audace, en 1977, d'apporter sa pierre à la mythologie des rednecks (dont Délivrance puis Massacre à la tronçonneuse ont ébauché les contours) via une bonne grosse famille bien américaine ciblée par une famille de tarés irradiés en plein désert. Images poisseuses, gore cracra et l'inoubliable tronche d'œuf de Michael Berryman : tout ça participe au parfum culte de ce classique des soirées vidéo, que le festival agrémentera d'un savant avant-propos signé Maxime Lachaud, qui vient de publier un bouquin indispensable, Rednecks movies, chez le tout aussi indispensable éditeur Rouge profond. De belles pages sur la marge : comme quoi, entre passionnés de cinéma autre, tout est possible !

Festival des Maudits Films
Jusqu'au samedi 24 janvier, à la salle Juliet Berto et au Club


<< article précédent
Jack Arnold, l’outsider de la série B