L'orfèvre élect'Rone

Ambiances musicales féériques, production très soignée, collaborations étincelantes (Étienne Daho, François Marry, Bachar Mar-Khalifé…) : "Creatures", le troisième album de Rone prévu pour le 9 février, est sublime en tous points. Et confirme que le musicien est une valeur sûre de l'électro française. Rencontre avant son live à la Belle électrique. Propos recueillis par Nicolas Bros


Même si l'effet de surprise n'est plus vraiment de la partie, le Rone cru 2015 monte la barre très haut. Oniriques et lumineux, les douze titres composant Creatures sont autant de signes confirmant que nous avons affaire à un très grand des musiques électroniques. À 34 ans, Erwan Castex alias Rone passe une étape supplémentaire dans sa courte mais étonnante carrière, jalonnée de succès. L'effervescence ayant entouré Tohu Bohu, son précédent (et deuxième) album sorti en octobre 2012, témoignait déjà de la qualité des productions du Parisien alors exilé à Berlin : un véritable condensé de bombes électroniques entre douceur et dancefloor, comme l'imparable Bye Bye Macadam ou le florissant Parade.

Avec Creatures, il réitère l'exploit, allant encore plus loin dans la création. Le fruit du travail minutieux d'un véritable passionné de sons électroniques naviguant à l'étage céleste. « J'adore le contraste et le relief dans la musique. On peut jouer avec les silences et ça devient un instrument à part entière. Je me suis rendu compte de ça en écoutant de la musique classique où il y a parfois des pauses avant que ça ne reparte de plus belle. J'aimerais développer cela en live même si je viens de la musique électronique – j'avais l'habitude de faire des autoroutes où ça ne s'arrêtait jamais. J'aime toujours les longs sets mais j'ai envie d'ouvrir le live à autre chose. »

« Plus de relief »

Très mélodique, Creatures est également riche sur le plan technique, conservant un côté paradoxal dans sa construction. « Creatures est en même temps l'album sur lequel j'ai travaillé avec le plus de monde, comme en témoignent les collaborations multiples ; et paradoxalement, c'est sûrement mon album le plus intime. Peut-être parce que les personnes qui ont bossé avec moi m'ont permis d'aller un peu plus loin dans la création mais également parce que la pochette et l'environnement graphique ont été pensés par ma copine, Lili Wood et qu'on entend la voix de mon bébé dans le disque ! »

L'équipe de techniciens et de musiciens l'a laissé exprimer ses idées artistiques, comme ces sons tentaculaires propices à l'expérience auditive inédite – les titres Acid Reflux ou Ouija en sont des exemples parfaits. « Au départ, je crée la musique chez moi. Mais très vite, des limites techniques apparaissent, notamment sur le mixage. Les ingénieurs du son m'ont permis d'obtenir plus de relief, d'espace et même de silence dans ma musique. Finalement, j'étais un peu moins focalisé sur la technique et j'ai pu me concentrer sur la création. »

« Expérimenter l'"overground" »

L'autre aspect qui marque en découvrant Creatures, ce sont les noms des artistes ayant apporté leur patte. Aux côtés de Bachar Mar-Khalifé, musicien franco-libanais qui avait eu le droit à notre "une" en juin dernier, on trouve François Marry (sans ses Atlas Mountains) sur Quitter la Ville, le bassiste de The National Bryce Dessner ou encore Étienne Daho sur Mortelle.

« J'avais accepté de remixer le morceau En Surface, issu du dernier album d'Étienne Daho, alors que j'entrais en phase de création et que je m'étais juré de ne me concentrer que sur mon prochain disque. Mais je n'ai pas pu refuser la proposition car d'une part j'adore le personnage, et c'est également un morceau qui me touchait beaucoup, surtout la version acoustique avec Dominique A. L'appel de Daho a été comme un signe. J'en ai profité pour lui demander de poser sa voix sur mon album. Il a accepté et notre collaboration s'est déroulée très simplement. Il m'appelait à trois heures du matin ou m'envoyait des textos pour me demander comment allait "notre bébé" à tous les deux. Ce fut une belle rencontre ! » Et lorsqu'on lui parle d'un côté plus pop avec l'arrivée de chanteurs, il répond « qu'il n'a pas envie de formater sa musique ». « Ce qui m'intéresse, ce n'est pas de faire de la musique obscure mais bien d'expérimenter l'"overground" ».

Rone est ainsi un laborantin des sons modernes, précédé d'une réputation de timide qui peut surprendre. « Cela me fait sourire. J'ai été très très timide c'est vrai, mais la musique m'a débarrassé de cette timidité. Elle m'a permis d'aller plus facilement vers les autres. Elle est encore présente mais avec du recul, je pense qu'elle a été un moteur. Par exemple, lors de ma dernière tournée aux États-Unis, j'ai même pris le micro pour parler au public... Cela aurait été impensable pour moi il y a quelques années (rires). » Reste que sur scène, timidité ou pas, Rone propose des lives mémorables (demandez donc aux spectateurs des dernières Trans Musicales de Rennes) loin des DJ sets linéaires, empreints de profondeur musicale et visuelle. Comme ce sera sans doute le cas pour la date grenobloise à la Belle électrique, parfaitement faite pour ce genre d'expérience totale, tout juste deux jours avant la sortie de Creatures.

Rone, samedi 7 février à 23h, à la Belle électrique


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