Allen toujours frais

Quarante-cinq ans de carrière et une capacité toujours aussi "frappante" à se renouveler tout en se résumant : c'est ce que montre la légende nigérienne de l'afrobeat Tony Allen sur "Film of life", son dernier album en date. Stéphane Duchêne


À son ami et leader Fela, Tony Allen glissa un jour une idée, un simple mot, qui allait sans doute redistribuer les cartes de la musique noire en balayant la table de jeu. À celui qui lui disait « tous ces batteurs blancs que j'ai rencontrés en Angleterre n'y comprennent rien. Toi tu as le truc », il suggéra de rebaptiser leur musique – du "highlife jazz". Ce sera l'"afrobeat", symbole d'une émancipation musicale en marche et de plus en plus radicale. De cette histoire, Fela allait poser le décor, les personnages, les intrigues affolantes et les mélodies rageuses, mais c'est Tony Allen qui allait en poser le rythme implacable et irrésistible à la fois. Or Allen n'en a jamais fait tout un plat, adepte revendiqué du "less is more", ou, comme il l'a souvent dit, du "keep it simple". Quasi effarant quand on pense à la puissance rythmique du genre, à l'apport essentiel du batteur à l'afrobeat.

Et le beat, c'était, ce fut un temps Tony. Ça l'est toujours, au long d'innombrables collaborations d'abord, sur lesquelles on s'est bien sûr arraché le batteur de Lagos (du jazz à la pop en passant par la variété), moins pour des aptitudes, souvent recherchées, de requin de studio capable de frayer dans toutes les eaux que justement pour un style inimitable et jamais ramenard qui a vite fait de faire la différence.

Boat Journey

Voilà qui n'a pas manqué de toucher par exemple un Damon Albarn qui, en fin observateur, quasi bowien, de l'univers musical, n'a pas son pareil pour dénicher les pépites qui lui permettront de briller, tout en n'oubliant jamais au passage de leur renvoyer l'ascenseur. Ce qui nous amène à la question des albums solo – et au récent Film of life (et quelle life!) – qui n'en sont pas vraiment. Ce pourrait être la limite des albums de batteurs, ça ne l'est guère avec Tony Allen. Car là aussi, il suffit de savoir s'entourer, or quand on est parvenu à un tel statut de totem de la musique mondiale, ce n'est guère compliqué (Albarn est évidemment de la partie).

Mais, en regard de ce qui a été dit, Film of life comporte des fausses pistes tels l'ouverture... ouvertement afrobeat et faussement titrée Moving On ou le duo Go Back, plus albarnien qu'autre chose quand l'album est en fait un voyage (tel Boat Journey) funk, soul, dub, orientalisant même, au swing (oui on peut encore utiliser ce mot en 2015, sur dérogation) et à la désinvolture redoutable. Un album somme traversé de cet air de ne pas y toucher qui a toujours caractérisé ce génie du beat, qui a ce "truc", indéfinissable.

Tony Allen, vendredi 6 février à 20h30, à la Source (Fontaine)


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