Pavel Lounguine : le blues du cinéma russe


Mai 1990. L'URSS n'est pas encore de l'histoire ancienne, mais ses satellites oui. La Perestroïka de Gorbatchev commence à montrer ses limites ; artistiquement, elle a ouvert les vannes d'une liberté longtemps contrainte. Quand Taxi Blues est présenté au festival de Cannes, c'est un choc : le cinéma russe ne semblait plus, depuis l'exil et la mort de Tarkovski, que voué à célébrer un patrimoine culturel peu gênant pour le parti. La réalité dans les rues de Moscou, personne ne semblait prêt à la filmer. C'est pourtant ce que fait Pavel Lounguine, et ce gros ours barbu et bégayant va devenir l'ambassadeur à l'étranger de cette Russie que l'on a longtemps cachée.

Taxi Blues, c'est la tragi-comédie d'un chauffeur de taxi brutal et aigri qui rencontre un saxophoniste dans la dèche et lui mène la vie dure, jusqu'à ce que la célébrité ne vienne renverser les rôles et redistribuer les cartes. C'est aussi une étourdissante démonstration de mise en scène – même anesthésié dans ses aspirations politiques, le cinéma russe a conservé la fougue visuelle qu'il avait sous le communisme.

Lounguine aura du mal à dépasser ce coup de maître, sinon tardivement (en 2010) avec le pourtant très académique Tsar. Entre temps, l'opportuniste Mikhalkov aura pris la tête du cinéma dans son pays, prêtant une allégeance douteuse à Vladimir Poutine pour faire financer ses blockbusters ineptes. Les héritiers de Lounguine aujourd'hui sont à chercher du côté de l'immense Andreï Zviaguintsev, ou d'un Yuriy Bykov qui, après son déjà fort The Major, vient de signer le très contestataire The Fool, grand prix au dernier festival des Arcs. La relève est assurée…

Christophe Chabert

Taxi Blues
Mercredi 25 février à 20h au CCC


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