Mémoires d'un jeune fougueux

Avec son adaptation du roman "Rue des voleurs" de Mathias Énard, Bruno Thircuir de la Fabrique des petites utopies livre un spectacle sur un héros « prisonnier de sa condition de jeune arabe de Tanger, de l'Histoire coloniale, de la peur de l'Occident ». Une réussite. Aurélien Martinez


La Fabrique des petites utopies de Bruno Thircuir est une compagnie grenobloise bien connue pour son théâtre engagé qui tente de « raconter le monde d'aujourd'hui de façon politico-poétique ». Rue des voleurs, dernière proposition en date créée fin février en camion-théâtre, est celle qui illustre sans doute le mieux les aspirations du metteur en scène – en gros : faire du théâtre à la fois populaire et engagé.

Soit l'histoire de Lakhdar, jeune Marocain paumé entre des traditions qui l'étouffent et un Occident qui l'attire. Mais cet eldorado se refuse à lui, le gamin ouvert sur le monde et féru de roman policier, comme il se refuse également à tout un pan de l'humanité.

Entre Tanger et (finalement) Barcelone, on suit donc Lakhdar à la trace, lui qui doute (face à des fondamentalistes religieux suspects), qui vivote (avec différents petits boulots), et qui surtout s'enflamme pour une jeune Européenne. Un désir ardent qui lui fera côtoyer un monde en ébullition, passant des Printemps arabes aux Indignés espagnols.

Seul contre tous

Le roman de Mathias Énard est un matériau riche et solide qui colle aux basques du monde d'aujourd'hui en utilisant paradoxalement un héros bringuebalé par ce monde, presque à côté de l'Histoire.

Sur scène, le comédien et acrobate Ayoub Es-Soufi est Lakhdar ; celui qui, depuis sa prison, revient sur son parcours en faisant appel à sa mémoire. Une mémoire personnelle et sensible qu'il retranscrit aussi par le corps, grâce aux arts du cirque : un choix qui ouvre le spectacle vers des perspectives nouvelles et offre de très belles scènes visuelles.

Quant aux différentes figures que croise Lakhdar pendant son épopée, elles sont simplement matérialisées sur les murs de sa cellule via une utilisation subtile de la vidéo. Différents partis pris de mise en scène qui évitent ainsi de simplement plaquer des mots et des images sur un discours, laissant le spectateur libre – comme le fait d'ailleurs Énard avec ses lecteurs.

En découle une proposition forte, habilement construite (un second comédien est présent sur le plateau pour donner un autre éclairage au récit), qui confirme que Bruno Thircuir, même s'il s'est assagi ces dernières années (ses premières créations étaient d'une grande violence), a encore beaucoup à raconter.

Rue des voleurs, jusqu'au jeudi 19 mars à la clinique du Grésivaudan (La Tronche), mardi 5 et mercredi 6 mai au Grand Angle (Voiron) et du mardi 26 au jeudi 28 mai au collège Aimé Césaire (Grenoble)


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