Amphithéâtre : Michel Belletante prend la parole

Le metteur en scène qui fut directeur de l'Amphithéâtre de Pont-de-Claix de 1996 à 2010 nous a fait parvenir la lettre ouverte virulente qu'il a adressée à Christophe Ferrari, le maire de Pont-de-Claix. Et se positionne clairement contre la décision municipale concernant l'avenir de l'Amphithéâtre.


Alors qu'il y a tout juste cinq ans, la mairie de Pont-de-Claix décidait de changer totalement la ligne de son théâtre en l'axant sur la création très contemporaine, nouveau changement avec la reprise en main de l'équipement par cette même mairie. En cause, la programmation de la directrice jugée trop élitiste comme on l'évoquait ici.

Voici la réaction du metteur en scène Michel Belletante.

Lettre ouverte à Christophe Ferrari

Maire de Pont-de-Claix, Président de la Métro

Christophe,

Alors ça y est, tu y es arrivé ! Arrivé à tuer l'indépendance et la (semi)liberté de l'Amphithéâtre. Cette parole, à côté de la tienne, de mon "temps" à la place de la tienne, que tu n'as jamais supportée car elle te dépassait, tu as fini par l'avoir et la faire taire pour un bon moment ! Oui, car elle renaîtra, sois en sûr mais il faudra du temps !

Quel orgueil imbécile, quelle victoire picrocholine !

Et dire que c'est une mairie socialiste qui en prend la responsabilité ! Honte sur toi, Christophe, et sur ceux qui te laissent faire !

Pourtant, sauf erreur de ma part, c'est bien ton adjointe à la culture qui écrivait dans son jargon, un peu stéréotypé et emphatique certes, tu vois c'est ça la différence avec une parole libre, en juin 2014 dans la brochure de l'Amphithéâtre, je résume et condense : "Il n'y a pas d'autres choix pour notre société moderne en proie aux doutes, à la peur et à la haine, qu'une ouverture fabuleuse vers le domaine de l'imaginaire, du collectif et de la tolérance". Paf, l'adjointe-coach expert du changement n'avait pas vu arriver la fin de l'histoire de la tolérance six mois plus tard… preuve s'il en fallait de sa grande compétence.

« D'autant plus qu'il n'y avait que peu de Pontois dans l'Amphithéâtre… éternelle rengaine invérifiable des édiles qui veulent noyer leur chien de théâtreux. »

À quoi joues-tu ? Tu veux l'avoir pour toi tout seul ce bâtiment dans lequel tu courais enfant dans les dalles et les murs en construction ? Tout ça pour ça ? Un retour de nostalgie de l'enfant tyrannique, comme tu me l'avais d'ailleurs dit crûment !

Toute cette mascarade de quatre ans de "faux" projet d'art contemporain n'avait donc que ce but ? Ce que je t'avais d'ailleurs répondu aussi crûment lorsque tu l'avais évoqué, tellement il était évident que tu voulais être seul maître à bord, mais la décence (et les autres institutions…) t'en empêchaient à l'époque.

Il aura suffit d'attendre que le nombre de spectateurs baisse au fil de cette programmation, d'ailleurs, remarque le, bien plus exigeante et élitiste que la mienne en son temps, et baisse tellement que la subvention de 400 000 euros de la municipalité paraisse indécente, d'autant plus qu'il n'y avait que peu de Pontois dans l'Amphithéâtre… éternelle rengaine invérifiable des édiles qui veulent noyer leur chien de théâtreux.

Est-ce que tu as pensé aux enfants et au collégiens de Pont-de-Claix, qui n'ont souvent que cette foutue télé ou internet comme horizon culturel ? Tu n'as jamais compris le spectacle vivant, ni le sens des mots. Trop scientifique pour ça ? Mal éduqué plutôt et comme souvent tu penses que ton point de vue d'autodidacte en la matière est le bon, le seul valable… Eh bien non, Christophe, quarante ans d'expérience de théâtre ancrée dans les territoires me hurle que ces enfants plus que les autres ont besoin de théâtre, de mots à mettre sur leur pauvreté et leurs peurs, et que seul le contact avec les œuvres de l'esprit leur permettra de ce sortir de leur ghetto-apartheid (appelle cela comme tu le veux), et ce n'est pas le pansement des animations scolaires et culturelles qui remplacera ce contact direct.

« Tout ça est donc balayé d'un revers de main et de deux phrases laconiques. Quelle tristesse ! Quel manque d'élégance ! »

Et toi, du haut de ta petite certitude de gestionnaire aux petits pieds, pour récupérer du budget, tu viens rayer d'un trait de plume trente ans de luttes, de batailles acharnées pour faire reconnaître l'Amphithéâtre et Pont-de-Claix (par la même occasion) comme un lieu d'art et de culture…, tu te rends compte, Christophe, Le Pont-de-Claix, tu sais pourtant le handicap que c'est ! Pont-de-Claix a été connu jusqu'au Québec par l'Amphithéâtre… c'est mieux que se faire connaître par des voitures qui brûlent ou du trafic de drogue, non ?

Le travail de Michel Couëtoux (auquel pourtant tu te référais si souvent, mais lui il avait été secrétaire du poète Aragon, grosse différence), celui d'Annie Bertano, le mien, celui d'Emmanuelle Bibard, tout ça est donc balayé d'un revers de main et de deux phrases laconiques. Quelle tristesse ! Quel manque d'élégance (mais ça, moi, je le savais déjà que ce n'est pas l'élégance qui caractérise ton équipe) pour tous ces gens qui se sont investis dans ces différents projets successifs avec cœur, dévouement et au-delà même de ce qu'on leur demandait. Et toi, tous ces salariés tu vas les envoyer à Pôle Emploi ! Sans états d'âme ! Socialiste ! Tu plaisantes !

« Ce que tu viens de faire est inqualifiable ; et si le hasard nous met, un jour, en présence, crois-moi, je saurai te le dire directement. »

Et tu pensais que ton forfait aurait lieu dans le silence résigné et indifférent, parce que ton DGS avait été déminer le terrain auprès du conseil régional et que ton poste de président de la Métro te couvrirait… Eh bien non, j'espère que toutes les forces de la culture, tous les auteurs, tous les acteurs qui sont passés à l'Amphithéâtre, toutes ces années, te poursuivront sans relâche, jusque dans tes rêves et tes inspirations picturales et que tu n'as pas fini d'entendre parler d'eux. Tu sais que la roche Tarpéienne est proche du Capitole… et que beaucoup de politiques se sont cassés les dents sur une arête culturelle.

C'est évidemment la grâce que je te souhaite car ce que tu viens de faire est inqualifiable ; et si le hasard nous met, un jour, en présence, crois-moi, je saurai te le dire directement.

Michel Belletante

NB : Les italiques sont de l'auteur du texte. Les phrases en exergue ont été rajoutées par la rédaction.


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