Le sprint photographique de Philippe Dupré

« Je traque l'intimité, la complexité du graphisme gestuel et corporel des sportifs et leur discipline. » Pour son exposition à l'Aiguillage, le photographe Philippe Dupré a capté à travers son objectif toute la sensibilité et la violence dégagées inconsciemment par les athlètes en plein mouvement, faisant des clichés des témoignages sportifs abstraits. Charline Corubolo


La discipline ne semble pas réellement avoir d'importance : ce qui anime Philippe Dupré, ce sont les corps en mouvement. Pour son exposition à l'Aiguillage, intitulée Sportifs, entre terre, air et eau, le photographe dévoile un ensemble de clichés frôlant l'abstraction où l'intérêt réside plus dans la déformation de la chair humaine et la captation d'un instant fugace que dans l'exploit accompli.

Au gré de photographies au format identique, en portrait ou en paysage mais toutes en noir et blanc, les enveloppes charnelles des athlètes apparaissent déformées, désarticulées, presque gommées de toute vision réelle de par le mouvement. Les membres se fondent dans un seul et même tout, révélant l'inscription photographique d'un instant éphémère que l'œil a à peine saisi.

Retranscrire l'émotion et la brutalité de l'effort dans son rapport à l'espace et au temps, tel est le dessein des œuvres de Philippe Dupré. Pour cela, le photographe s'approche au plus près de la réalité en n'ayant recours à aucune retouche ni manipulation, laissant simplement les sportifs et leur geste s'exprimer et se fixer sur l'image.

Photographie manifeste

Une image fixe qui devient alors mouvante grâce à la décomposition de l'action ou la synthèse visuelle de l'exercice en cours. Un rendu qui semble reprendre les codes du futurisme du début du XXe siècle, et plus particulièrement celui appliqué dans le champ de la photographie notamment par Anton Giulio Bragalia, photographe et vidéaste auteur de Photodynamisme futuriste (1911).

Le parallèle historique entre cette période et Philippe Dupré s'applique uniquement sur l'aspect esthétique des œuvres, les sujets défendus étant largement éloignés. Et même si l'artiste ne cherche à pas faire manifeste avec cette exposition, son œuvre devient miroir d'un pan de l'histoire de l'art avec cette déconstruction du mouvement, cherchant l'accélération, la tension et le changement, fer de lance des futuristes dès 1909, tout comme le grain de ses clichés semble déplacer le pointillisme (les années 1880) de Seurat dans le cadre de l'image instantanée.

Sportifs, entre terre, air et eau, jusqu'au samedi 4 avril, à l'Aiguillage


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