Caprice

Après le virage dramatique raté d'"Une autre vie", Emmanuel Mouret revient à ce qu'il sait faire de mieux, le marivaudage comique autour de son éternel personnage d'amoureux indécis, pour une plaisante fantaisie avec une pointe d'amertume. Christophe Chabert


L'ingrédient typique d'une bonne comédie pourrait se résumer à cela : prenez un individu ordinaire, plutôt bien dans sa vie et dans sa peau, puis faites lui traverser des épreuves dramatiques pour lui mais drôles pour le spectateur, avant de le ramener dans son environnement initial. Le discret culot dramaturgique de Caprice, le nouveau film d'Emmanuel Mouret, consiste à renverser ce schéma.

Au départ, Clément (Mouret lui-même, retrouvant avec délectation son registre d'amoureux indécis et maladroit) est un instituteur pas franchement en veine : divorcé et gérant tant bien que mal la garde alternée de son fils, il passe ses soirées seul au théâtre à admirer Alicia (Virginie Efira), une actrice hors de sa portée sociale. Le bonheur va lui tomber dessus sans prévenir : non seulement Alicia s'éprend de lui, mais il séduit sans le vouloir une autre fille, Caprice (Anaïs Demoustier), aussi charmante qu'envahissante.

Trop de bonheur

Le problème de Clément, c'est donc que tout va (trop) bien et ce soudain accès de félicité provoque en retour atermoiements et culpabilité. Mouret ne fait ici que retrouver ce qui a toujours été son territoire de prédilection : le marivaudage, où l'homme désire autant qu'il est désiré, sans savoir s'il doit écouter sa passion ou sa raison, la première provoquant une série d'actes manqués (Clément couche avec Caprice alors qu'il fait tout pour l'éviter), la seconde des lapsus qui confèrent une réelle saveur à des dialogues élégamment théâtraux. L'expérience loupée d'un film ouvertement mélodramatique (Une autre vie, en 2013) semble avoir servi de leçon à Mouret : plus qu'une comédie douce-amère, Caprice est un drame gai où la légèreté de l'exécution distrait de la gravité des enjeux.

Car l'amertume reste longtemps à l'orée du film, parquée dans un enclos étroitement surveillé dont on sait qu'à un moment où un autre, elle finira par s'extraire. Clément vit comme un poisson hors de son bocal, évoluant dans un monde (la bourgeoisie bohème d'Alicia) où il ne trouve jamais totalement sa place. À l'inverse, celui que lui propose la fantasque Caprice ressemble à ce que ce gentil fonctionnaire pouvait attendre de plus naturellement aventureux.

Le dernier acte, où Mouret s'essaie à nouveau au mélodrame, n'est pas forcément ce qu'il réussit le mieux, mais c'est là où il exprime la vérité de son film, inversant à nouveau la donne, l'image édénique de bonheur retrouvé se heurtant à une mélancolie insidieuse qui en souligne la fragilité.

Caprice
De et avec Emmanuel Mouret (Fr, 1h40) avec Virgine Efira, Anaïs Demoustier…


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