Every thing will be fine

À partir d'un matériau ouvertement intimiste et psychologique, Wim Wenders réaffirme la puissance de la mise en scène en tournant son film en 3D, donnant à cette chronique d'un écrivain tourmenté des allures de prototype audacieux. Christophe Chabert


On le croyait engoncé dans sa stature d'icône "has been", contrebalançant la médiocrité de ses films de fiction par des documentaires consacrés à des "stars" culturelles (Pina Bausch, Sebastiao Salgado)… Mais Wim Wenders a encore la gnaque, et c'est ce que prouve Every thing will be fine.

Le réalisateur de Paris, Texas est allé dégotter le scénario d'un Norvégien, Bjorn Olaf Johannessen ; l'a transposé dans une autre contrée enneigée mais anglophone, le Canada ; l'a revêtu d'un casting international et sexy (James Franco, Charlotte Gainsbourg, Marie-Josée Croze, Rachel MacAdams) et, surtout, l'a réalisé en 3D. Mais pas pour lancer des objets à la figure du spectateur – il aurait de toute façon du mal puisque l'histoire est du genre intimiste de chez intimiste.

On y suit sur une douzaine d'années les vicissitudes d'un écrivain (Franco) en panne et en bisbille avec sa compagne (MacAdams). Après une énième dispute, il écrase par accident l'enfant d'une jeune femme secrète (Gainsbourg) vers qui il sera attiré comme un aimant. Le récit avance à coups d'ellipses temporelles où le personnage s'accomplit à travers une série de paradoxes : la tragédie débloque son inspiration et le conduit vers le succès ; il trouve un point d'équilibre sentimental auprès d'une mère divrocée (Croze) mais cette sérénité retrouvée se transforme en engourdissement émotionnel.

En sourdine et en stéréo

On le voit, le scénario ne lésine pas sur la pesanteur psychologique et cette odyssée chuchotée n'est pas exempte de quelques clichés. Par ailleurs, Wenders se montre incapable de figurer le passage du temps autrement que par des méthodes grossières. Cela dit, on est heureux de le voir délaisser ses considérations vaseuses et stériles sur les images et la violence qui ont plombé son œuvre depuis Si loin, si proche en 1993.

C'est bien l'utilisation inédite de la 3D qui permet à Every thing will be fine de passer du banal à l'extraordinaire. Aidé par sa stéréographe Joséphine Dérobe et par le chef opérateur Benoît Debie, Wenders repense en permanence l'appréhension de l'espace par l'image, que ce soit dans des gros plans où les visages surgissent de la pénombre ou dans des travellings qui révèlent lentement l'environnement autour des personnages. Tout ici devient une matière picturale permettant d'être au plus près des êtres et des choses, réinventant ainsi le sens du cadre et des dynamiques narratives. Dans un geste de pionnier, Wenders œuvre discrètement pour le cinéma de demain – pour tous les cinémas de demain.

Every thing will be fine
De Wim Wenders (All-Fr-Can, 1h55) avec James Franco, Charlotte Gainsbourg, Marie-Josée Croze…


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Jauja