Un pigeon perché sur une branche…

Dernier volet de la trilogie de Roy Andersson après "Chansons du deuxième étage" et "Nous les vivants" où ce disciple suédois de Jacques Tati pousse à l'extrême son cinéma en apnée, suite de plans tableaux aussi répétitifs qu'hermétiques, parsemés de quelques fulgurances. Christophe Chabert


Le dernier film de Roy Andersson dont le titre entier, Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l'existence, contient presque plus de mots que l'ensemble de ses dialogues, s'est fait bouler à l'unanimité par le comité de sélection cannois en 2014. Un mal pour un bien : présenté à Venise, il en est reparti avec le Lion d'or.

Andersson est le genre de cinéaste à se faire rare sur les écrans (sept films en quarante-cinq ans) tout en ayant réussi à se créer une signature admirée par quelques inconditionnels à travers le monde. Or, depuis son "retour" avec Chansons du deuxième étage en 2000, ladite signature s'est muée en tic de mise en scène : plans fixes composés comme des tableaux dans lesquels les acteurs, affublés de maquillage blafard, sont comme des zombies errant dans un monde triste, gris et dévasté. Le tout saupoudré d'un humour pince-sans-rire et d'un goût de la répétition qui évoque, si l'on est paresseux, Jacques Tati.

Mais dans ce nouveau film, le cinéma d'Andersson ressemble plutôt aux mises en scène théâtrales de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff période pré-Deschiens, où il s'agit surtout de décliner jusqu'à l'essoufflement une poignée d'idées dans des scénographies gigantesques. À ceci près que le cinéaste suédois possède un solide ego auteurisant et un dogmatisme formel qui fait de chaque plan-saynète une forme d'apnée crispante, un défi lancé à lui-même et au spectateur – à celui qui craquera le premier.

Mourir dans l'indignité

Ce "je te tiens, tu me tiens par la barbichette" est quasiment le leitmotiv du film, où deux représentants en farces et attrapes aussi sinistres l'un que l'autre écument les bars et les bureaux en essayant de placer leurs produits phares avec toujours le même argumentaire. Personne ne rie évidemment, et tout au plus sourit-on dans son fauteuil – enfin, plus trop à la dixième occurrence de la situation. Ce fil rouge est entrecoupé de digressions tragi-comiques très noires qui sont aussi parfois des sauts dans le temps, évoquant un passé qui vient se mêler au présent, avec en ligne de mire l'absurdité de l'existence et la mauvaise conscience des crimes commis par la nation.

Certes, tout cela reste hermétique, mais on peut goûter par moments d'authentiques fulgurances qui, si elles ne sauvent pas le film de l'ennui et de la vacuité, impressionnent durablement la rétine. La plus puissante est à la fin (on ne la racontera donc pas) et elle est à la fois horrible et magnifique, exprimant avec une cruauté terrible toute la misanthropie d'Andersson, sa vision d'un monde en putréfaction morale.

Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l'existence
De Roy Andersson (Suède, 1h40) avec Holger Andersson, Nils Westblom…


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