Frédéric Benrath : les espaces et les sentiments

De la matière tumultueuse ou apaisée émane de paysages picturaux à la lisière de l'abstraction et du figuratif, comme un voyage entre extérieur et intérieur. "L'espace du dedans", actuellement au musée Hébert, dévoile les grandes périodes de l'artiste Frédéric Benrath (1930-2007), dont la peinture n'a eu de cesse d'explorer la couleur et la lumière. Charline Corubolo


S'il est des artistes qui ne créent que sous l'impulsion, ce n'est pas de le cas de Frédéric Benrath dont toute la démarche suivait une ligne autant réflexive que méditative. Né sous le nom de Philippe Gérard en 1930, il débute des études aux Beaux-Arts de Toulon en 1947, pour finalement s'installer à Paris et délaisser la théorie au profit de la pratique.

Dès 1954, il se fait appeler Frédéric Benrath, un pseudonyme qui dévoile toutes ses aspirations artistiques : le nom fait référence à un château situé à Düsseldorf où il résida lors de son premier voyage en Allemagne, tandis que le prénom Frédéric manifeste de son intérêt pour la littérature de Friedrich Nietzsche et son admiration pour la peinture romantique de l'Allemand C. D. Friedrich.

Peintre assimilé à l'abstraction lyrique des années 1950-1960, Frédéric Benrath décède en avril 2007. L'espace du dedans, expression empruntée au poète Henri Michaux, se propose ainsi de retracer les grandes périodes qui ont marqué la carrière de l'artiste.

Du nuage à l'étendue

Conçue non pas comme une rétrospective mais davantage comme une déambulation qui met en lumière les évolutions esthétiques majeures de la peinture de Frédéric Benrath, l'exposition L'espace du dedans se dévoile à travers une trentaine de tableaux. Les premières œuvres, dont la frontière entre abstraction et figuration est déjà poreuse, prennent leur source dans des paysages sombres et tourmentés.

Établissant une véritable quête d'une matière atmosphérique par le prisme de la peinture, il débute de sa carrière au sein du groupe des Nuagistes (1953-1966) dont l'évidente parenté avec le romantisme allemand s'exprime dans une gestuelle tumultueuse où la nature reflète l'intériorité de l'artiste. L'horizontalité du panorama est délimitée par des lignes floues, qui au fil des ans ne feront que se gommer davantage, tandis que la profondeur de l'espace est sublimée par des couleurs puissantes oscillant entre un camaïeu terreux et orangé et des nuances bleutées grises.

Couleurs illuminées

De la touche tendue, cherchant la force des éléments telle une mise en abyme d'un conflit intérieur, l'esthétique de Frédéric Benrath va basculer vers l'abstraction. C'est ainsi que fin 1990 et début 2000, la matière devient plus légère laissant place à des monochromes qui rappelle Rothko et dont l'étendue colorée conserve la prégnance méditative des premières œuvres de l'artiste.

La composition où la verticalité était découpée entre terre et air s'unifie pour permettre à la palette de jouer entre effet de lumière et dégradé subtil. Le visible est gommé afin de matérialiser au mieux l'immatériel : l'intériorité de l'être. Les polyptyques, principe inventé par l'artiste pour une œuvre en train de se faire, dévoilent une peinture maîtrisée où l'illisible devient réel aux yeux.

L'espace du dedans, jusqu'au lundi 2 novembre, au musée Hébert (La Tronche)


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