Fou d'amour

​Récemment muté dans un petit village, un curé charmeur et beau parleur fait perdre la tête à ses paroissiennes. La sienne finira par rouler au fond d'un panier... Justement récompensé au Festival des Films du Monde de Montréal, le nouveau Philippe Ramos évoque, sans le plagier, l'esprit de Luis Buñuel. Vincent Raymond


Quel dommage que Philippe Ramos soit à ce point rare et discret, voire sauvage ! Car à chaque fois qu'il s'empare d'un sujet, c'est pour soumettre une réelle proposition de cinéma, légitimant le recours à la caméra (tous les réalisateurs ne peuvent pas, hélas, en dire autant). Abordant des thèmes en apparence asséchés – Moby Dick dans Capitaine Achab (2007) ou la Pucelle d'Orléans dans Jeanne Captive (2011) – le cinéaste parvient à créer du spectaculaire dans l'infime ou l'intime.

Même heureux constat ici, avec ce fait divers qu'il situe dans les années cinquante : un curé succombant aux beauté terrestres séduit et met enceinte une jeune aveugle avant de l'assassiner. Loin de se contenter d'une adaptation historique plate, Ramos dégage l'essence trouble et mystique de ce drame complexe, faisant du prêtre (ou plutôt de sa tête décapitée) le narrateur du film. Une sacrée provocation, puisque le suborneur se trouve en position de plaider des circonstances atténuantes : il passe presque pour victime de ne pas avoir pu donner librement l'amour dont il était sincèrement empli. La culpabilité étant, à mots couverts, volontiers reversée sur la hiérarchie diocésaine. N'a-t-elle pas "mis au vert" le jeune curé parce qu'il avait déjà frétillé de la soutane ? N'a-t-elle pas fermé les yeux et les oreilles sur la manière dont il accomplissait son ministère, tant que les apparences étaient intactes et que la communauté vivait dans l'adoration de son pasteur ?

Loué soit Poupaud

Cette façon de railler l'hypocrisie de l'Église et de ses dirigeants rappelle le style de Buñuel, notamment dans Viridiana – ce qui n'est pas peu dire. Ramos déploie dans Fou d'amour la même ironie critique que le maître aragonais ; il insère en outre de splendides compositions surréalistes : des tableaux en plan fixe oniriques, fruits des visions fantasmatiques du curé tourmenté par la chair.

Le choix de Melvil Poupaud s'avère idéal : le comédien excelle toujours dans ces emplois à la lisière, flirtant avec l'ambiguïté. Son jeu neutre et naturel, son apparence d'innocence courtoise sont tempérés par sa voix off, révélant la sournoiserie profonde de son personnage duplice. Face à lui, la jeune Diane Rouxel (vue dans La Tête Haute) impressionne par son autorité, glissant de la fragilité naïve à l'inflexible dureté. Et confirme que Ramos possède en sus l'art de composer des distributions aussi originales que judicieuses.

Fou d'amour, de Philippe Ramos (Fr, 1h47) avec Melvil Poupaud, Dominique Blanc, Diane Rouxel…


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