Superpoze : « Penser la musique en 3D »

C'est parti pour la quatrième édition du festival Jour & Nuit qui, cette année, centralise sa programmation soirée à la Belle électrique (vu que l'asso qui l'organise est celle qui gère la nouvelle salle). Avec, vendredi, le prodige Superpoze, responsable d'un petit chef-d'œuvre d'electronica naturaliste qu'il viendra défendre en live. Rencontre. propos recueillis par Benjamin Mialot


On se souvient de notre première rencontre avec Superpoze comme d'une apparition. C'était au printemps 2013, au festival TILT à Perpignan. Programmé en prélude à un authentique boucan d'enfer (Sebastian, Fukkk Off, Carbon Airways...), il s'était avancé sur scène tel un ange annonciateur, Gabriel de son prénom, le visage d'une innocence juvénile – il avait alors la vingtaine à peine entamée – et le corps agité de spasmes typiques d'un état de grâce, brandissant en guise de trompette une MPC (un séquenceur/sampler portatif) de laquelle il avait fait jaillir des abstractions électro-hip-hop aux airs de souvenirs.

Souvenirs de quelques paradis à l'exotisme glaciaire, dont les délicats contours ("cut-ups" vocaux réduits à des onomatopées tribales, "beats" clapotant comme des ricochets sur l'eau, nappes de synthé dessinant des horizons meilleurs) épousaient ceux de From the Cold, un premier EP sur lequel il soldait un an plus tôt l'héritage des labels Warp et Ninja Tune – « des artistes comme Flying Lotus ou Bonobo furent primordiaux dans ma découverte de la composition en solitaire » reconnaît-il aujourd'hui.

« Une fenêtre sur l'infini »

Deux ans et un second EP tout aussi dépaysant plus tard (Jaguar), le voilà de retour avec Opening, premier album précédé d'une attente messianique, où les souvenirs ont laissé place à un travail quasi documentaire d'une petite trentaine de minutes, à mi-chemin du travelling pour ciné-concert au piano et du "field recording" pulsant de précipitations organiques. « Le titre de l'album traduit l'idée que je peux faire ce que je veux derrière. C'est le début, l'ouverture, "l'opening" des disques qui suivront et, plus globalement, de ce que je ferai dans la musique, en tant que Superpoze ou pas d'ailleurs. Une sorte de fenêtre... sur l'infini. Quel poète ! »

À une époque où la musique est consommée d'une manière de plus en plus éclatée, faire un album est une véritable prise de risque. « L'envie a été naturelle. Quand je m'y suis mis, j'ai essayé de refaire des morceaux comme ceux de mes EPs et cela ne m'a provoqué aucune sensation. L'intention est venue du coup dans les structures. Je ne voulais plus qu'elles soient pop, au sens le plus large du terme, avec des refrains identifiables, des couplets... Je voulais envisager l'album dans son ensemble, laisser le temps à la musique, aux progressions, pouvoir me dire que si un événement n'est pas survenu dans tel morceau il pourra dans le suivant... C'est impossible quand tu travailles morceau par morceau, car tu fais seulement en sorte que chacun soit fort en lui-même. »

« Une musique noire, blanche et bleue »

Opening est un pur disque d'electronica de chambre, enregistré à la lueur d'un écran à la luminosité mal ajustée. « J'ai appris à faire de la musique en même temps qu'à écrire, à compter et à faire des expériences dans des éprouvettes. C'est pour moi un langage en tant que tel. » Une electronica qui a un rendu très spatial, comme on parlerait de folk des grands espaces.

Si ce n'est que ceux de Superpoze sont plutôt aquatiques, si l'on en croit les titres Overseas et Ten Lakes... « C'est le lien entre toutes mes productions. J'ai toujours été fasciné par les pays du nord, le grand froid, l'hiver apaisé... Mais plus en termes de sensation. Dans mes premiers morceaux, From the Cold, The Iceland Sound ou Transylvania, tout comme sur Opening, j'ai essayé de retrouver cette idée de douceur mêlée de fraîcheur. J'ai grandi en Normandie. L'hiver ensoleillé, c'est un de mes souvenirs d'enfance préférés. Quant à l'élément aquatique, il est effectivement très présent. J'ai la vision d'une musique noire, blanche et bleue, qui renvoie au grand nord donc, mais aussi au milieu sous-marin. Il y a dans tous mes morceaux des notions de spatialisation, une tentative d'envelopper par le son, de penser la musique en 3D plutôt qu'en 2D. »

Et sur scène, en live comme ce vendredi soir dans le cadre de Jour & Nuit, Superpoze, ça donne quoi ? « J'avais deux options principales. La première, que je développe pour le moment, c'est un vrai travail de producteur électronique, avec des filtres, des montées, presque influencé techno, mais entre grands guillemets. Dans l'idée de me laisser le temps d'installer des phases d'intensité ou de douceur, comme je le disais tout à l'heure. Après, j'ai en tête de développer un live semi-acoustique, vu qu'il y a beaucoup de piano et de percussions organiques sur le disque. Quelque chose qui pourrait presque se jouer devant un public assis. Et puis j'ai le fantasme de l'interpréter un jour avec un gros groupe de post-rock (rires). »

Superpoze, vendredi 25 septembre à partir de 22h, à la Belle électrique.


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