Grégory Faive : la mort lui va si bien

Alors que son seul-en-scène "Pourvu qu'il nous arrive quelque chose" est toujours en tournée quatre ans après sa création, Grégory Faive dévoile une nouvelle fantaisie : "On aurait dû laisser un mot". Une histoire de défunts qui reviennent sur leur vie passée pour un spectacle joyeux, foisonnant et habilement construit. Aurélien Martinez


« Pas d'anges, pas de harpes, pas de vertes prairies fleuries, c'est des craques que racontait le curé, que des craques. » Amandine Delput, 1856-1919. À ses côtés dans le cimetière de Moret-sur-Raguse, il y a du monde. Tiens, cette tombe, c'est celle d'une femme qui, visiblement, a été très proche de nombreux villageois de sexe masculin. Là, c'est celle d'un homme qui a fini sa vie au fond d'un fossé à purin à cause d'une vache percutée en solex. Et ici, celle d'un jeune révolté mort bêtement, son cocktail explosif en main.

Comment le savons-nous ? Parce qu'ils ont tous décidé de se confier. De raconter leur vie, leur mort, leurs rapports les uns aux autres ou, tout simplement, ce qui leur passe par la tête – « Je suis née un 18 mai, je suis morte le 18 mars, comme quoi ! » C'est Patrick Kermann, auteur de théâtre de la fin du XXe siècle, qui a composé cet « oratorio in progress », cette « polyphonie de l'au-delà » qui, en plus d'être souvent jouée, est devenue un incontournable pour tout apprenti comédien – l'écriture atypique, souvent très orale, change de couleur selon le mort aux commandes et offre donc un éventail infini de possibilités.

Trop tard ? Non !

En faisant d'une phrase de la pièce le titre du spectacle, le metteur en scène grenoblois Grégory Faive marque son envie de s'approprier ce texte fort. Et de jouer avec, avec un plaisir qui transparaît pendant les presque deux heures de représentation. Sur scène, quatre (excellents) comédiens campent ces morts bavards dans différents tableaux qui rythment l'ensemble et évitent l'écueil du simple bout à bout de monologues.

Car ça part dans tous les sens, ça se marche dessus parfois, dans un joyeux bordel savamment chorégraphié – la scénographie et la création lumières sont remarquables par ce qu'elles suggèrent. Si on se laisse parfois déborder par un trop-plein de mots et de personnages, l'ensemble enivre gaiement, notamment grâce aux nombreuses petites touches personnelles parsemées ici ou là par Grégory Faive.

« Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard » écrivait Aragon. Ce n'est plus tout à fait vrai maintenant.

On aurait dû laisser un mot, jusqu'au samedi 17 octobre au Tricycle / Théâtre 145


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