Christophe : « Les gens aiment mon espèce de voix »

En queue de comète d'un "Intime Tour" déjà bouclé, Christophe livrera son dernier récital piano-voix à la Belle électrique, en attendant un album pour le printemps. Retour avec l'intéressé sur une tournée pas jouée d'avance faite de piano, de voix, de rencontres et de tâtonnements.


Lors de notre dernier entretien pour l'édition lyonnaise du Petit Bulletin, vous preniez quelques leçons de piano, en vue de l'Intime Tour ; un exercice que vous redoutiez beaucoup. Résultat, un an et demi de tournée : finalement, ça s'est plutôt bien passé...

Christophe : Oh, je ne suis pas devenu un virtuose en deux ans. Après quelques cours d'explications des claviers, pour comprendre des choses comme les augmentations d'accords, j'ai laissé naturellement jouer ma technique d'autodidacte. Mais c'est vrai que j'ai d'abord été très intimidé par cet instrument. Rien qu'à penser qu'il pouvait y avoir des pianistes dans la salle... C'est un complexe que j'ai un peu perdu en m'amusant. J'ai une main gauche qui est très très faible, c'est dommage pour un pianiste, mais bon, c'est comme ça, je ne l'aurai jamais. J'ai 70 balais maintenant.

Avez-vous expérimenté un nouveau rapport à votre public dans le dépouillement piano-voix comme dans la manière d'aborder vos chansons ?

Les chansons, ce n'est pas très important ! Ce qui forge, c'est de s'amuser à déstabiliser les versions d'origine parce qu'avec un piano, évidemment, en termes d'orchestrations, on est vite limité. Et effectivement ce qui m'a plu, en solitaire, c'est de rencontrer les gens. Ce ne sont pas des concerts avec deux heures de musiques enchaînées, parfois je m'arrête, je me surprends à poser des questions aux gens, à rire avec eux. Ils me demandent des chansons, m'emmènent là où je n'avais pas pensé aller.

C'est quelque chose que je n'avais jamais vécu en concert. Jusque-là, pour moi, la scène, ça avait toujours été un exercice très statique et, franchement, je me faisais chier. Je vais vous dire, je suis bien content de ne plus me faire chier en concert. Je joue peut-être mal du piano mais, au moins, je ne me fais pas chier !

Sur le disque live qui immortalise la tournée, on entend beaucoup le public reprendre vos chansons en chœur...

(il coupe) Oh oui, les gens chantent, c'est comme ça. Et quand ils chantent, je les laisse chanter. C'est une question d'endroit, de feeling du moment, ça se passe ou pas. C'est quand même l'inconnu total un concert. Le public joue aussi avec l'inconnu, il joue avec moi sans me connaître mais parce qu'il me découvre. Et quand ils sortent de la salle, une chose est sûre : ils me connaissent mieux que quand ils sont entrés.

Parfois vous dites : « Je ne suis pas chanteur. Je suis un instrument qui se place sur des robes sonores que je fais comme quelqu'un qui crée une robe. » Sur l'enregistrement du disque live Intime, juste avant d'entamer J'l'ai pas touchée,  vous concédez : « On va chanter maintenant parce que dans tout ce bordel, on est quand même un peu chanteur. » Chanteur vous l'êtes, c'est indéniable ; pourtant vous semblez toujours placer cela au second plan...

Comme j'ai commencé à 15 ans avec l'étude du son et que ma voix ne m'intéressait pas du tout, j'ai mis longtemps à avoir envie de chanter. À force de pratiquer les collages de sons et de trouvailles musicales, j'ai commencé à poser ma voix dessus. Mais, comme vous devez le savoir, pas très naturellement : j'ajoute depuis toujours des échos, des effets, parce que le chant dans sa normalité ne m'intéresse pas du tout. Je déteste par exemple chanter a capella, je refuse systématiquement.

Pour Christophe, le chanteur, cette mise à nu au piano a dû être compliquée...

Oui. Mais je suis un mec qui ne répète pas tellement les choses, qui se lance dans l'arène et envoie ce qu'il sent. C'est plus bluesman que la Callas comme approche. Mais pour moi, le chant, c'est la Callas : une chanteuse d'opéra qui va faire ses voix, travailler à produire quelque chose d'extraordinaire. Moi, j'ai un son particulier, je le sais, je m'en sers mais disons que, pour moi, la voix est plus un instrument qu'une façon d'être chanteur.

Après je chante, oui, parce que les gens aiment mon espèce de voix – même si de temps en temps, j'essaie quand même de leur filer un petit coup de vice en changeant quelques trucs pour leur casser les pieds. J'ai aussi très bien compris qu'il y a une nouvelle génération qui aime surtout ma dernière décennie de musique, s'intéresse plutôt à mon évolution et au fait que j'expérimente des nouvelles sonorités sur des chansons de variét'.

Vous incarnez à ce point le mélange des genres et le chevauchement des époques, de la variété et de la scène indé actuelle, qu'un jour Bayon, à l'époque critique rock à Libé, a dit que vous étiez le chaînon manquant entre Adamo et Alan Vega...

Il n'a pas tort. Bon, au départ, je suis plus John Lee Hooker qu'Adamo, hein. Après, ce qui me rapproche d'Adamo, c'est que j'ai créé des mélodies un peu variétés qui ont marqué. Et puis dans les années 1970, je me suis assez vite intéressé à la technologie, aux créateurs de nouveautés et j'ai essayé d'en faire la synthèse. Et comme je suis là depuis le début, que j'ai vu arriver des choses comme les samplers, je maîtrise un peu.

Votre adaptation perpétuelle à la technologie et votre goût de la recherche sonore ont-il été la clé de votre longévité et de votre régénération musicale ?

Bon déjà, moi, je n'ai jamais cherché un moyen de durer, je m'en fous. Mais, oui, si je dure, c'est sûrement grâce à cette maîtrise de la technologie et parce que je m'intéresse beaucoup à ce qui se fait. Aujourd'hui, si vous voulez comprendre pourquoi je fais de la musique, vous écoutez Jewels de Black Atlass [très jeune producteur d'électropop canadien – NDLR].

Votre prochain album est annoncé pour mars 2016. Or vous en parliez déjà en janvier 2013... Il vous a demandé davantage de travail, finalement ?

Je ne peux pas dire que je "travaille" longtemps sur mes albums, puisque que je ne quitte jamais mes synthés et que je fais tout le temps de la musique – à l'heure où je vous parle, je ne suis pas en train de boire l'apéro ou de faire mon tiercé, mais de tester des sons avec un OP-1, un synthé suédois que m'a fait découvrir le DJ Max Komori et qui m'a permis de faire de nouvelles synthèses sonores.

Et puis à un moment, les choses s'emboîtent et tout à coup, un album se dessine autour d'une douzaine de chansons. De fait, oui, ça fait longtemps, mais quand on est en tournée, on ne fait pas autre chose. Quand on joue au Liban, on n'est pas en studio.

Vous avez évoqué pour cet album des chansons qui seraient comme autant de petits films. Comment avez-vous abordé son écriture d'un point de vue textuel ?

Les gens me parlent souvent de textes comme si j'étais un poète. Pas du tout. Ce n'est pas la richesse des mots qui me fait chanter mais la richesse musicale du support qui me fait créer des mots. Parfois, les choses viennent d'elles-mêmes : j'aimerais aujourd'hui être capable de récrire une chanson comme Merci John d'être venu. Mais cette chanson je ne l'ai pas "écrite", c'est un miracle. Je n'écris pas, je note. Et je réutilise.

Ce que je viens de vous dire, sur la richesse des mots, c'est quelque chose que j'ai noté dans mon iPhone l'autre jour, parce que ça m'est venu il n'y a pas longtemps en interview et depuis je la donne à tout le monde, comme ça, ça m'évite de chercher une autre réponse (rires). Tout ça pour qu'on comprenne que je n'écris pas un texte d'amour comme un dingue avant de composer mais que c'est la musique qui est porteuse de mots.

Malgré tout, à un moment, les mots, il faut quand même les sortir, les écrire, les chanter...

Oui, au moins, il faut les coller, comme faisait Bashung. Et puis j'ai des paroliers autour de moi, c'est un travail d'équipe. Beaucoup plus que pour la musique. La première chanson de l'album qui s'appelle Définitivement, j'aurais rêvé d'en écrire le texte mais je n'ai pas été à la hauteur. Le texte n'est pas de moi, mais de la compagne de mon ingé son : je lui ai expliqué ce que je voulais dire, elle l'a très bien compris, et ce texte je le fais sonner. Le reste on s'en fout.


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