Toussaint et deux et trois zéros

Mi-récit, mi-essai, "Football" décortique la passion d'un écrivain raffiné pour le sport le plus populaire du monde. Et fait trembler les filets de l'évidence : tout le monde devrait aimer le football. Et les livres de Jean-Philippe Toussaint. Stéphane Duchêne


« Le football est un sport simple : 22 hommes courent après un ballon pendant 90 minutes et à la fin, ce sont les Allemands qui gagnent », définition signée Gary Lineker, ex-avant-centre britannique germano-traumatisé. Si l'on en croit l'auteur belge Jean-Philippe Toussaint, c'est aussi un sport où les Japonais et la Belgique font jeu égal et tout le monde est content : « Finalement, ce match nul me convenait à merveille, c'était même exactement le score que j'appelais de mes vœux (…) j'espérais que les Japonais auraient l'exquise politesse de ne pas nous battre et que nous aurions l'élégance de ne pas en profiter pour gagne r » écrit-il à l'issue d'un match de la Coupe du Monde 2002.

Cette compétition de sinistre mémoire est le pivot de Football,  sis entre France 1998 et Brésil 2014, à la fois récit, essai et déclaration d'amour d'un auteur pour ce jeu, mais sans porte-voix ni chants guerriers : « Voici un livre qui ne plaira à personne, ni aux intellectuels, qui ne s'intéressent pas au football, ni aux amateurs de football, qui le trouveront trop intellectuel » prévient l'auteur. Sauf que Football est susceptible de plaire à tout le monde, comme son sujet. Car voilà un jeu universel dans lequel chacun va trouver quelque chose.

Éternité

Pour Toussaint, c'est surtout une malle à souvenirs, une passion enfantine qu'on ne peut dissocier des rêves et de l'enfance : « C'est peut-être là l'enjeu secret de ces lignes, essayer de transformer le football, sa matière vulgaire, grossière et périssable en une forme immuable, liées aux saisons, à la mélancolie, au temps, et à l'enfance. »

Le football, comprend-on, c'est une madeleine mangée petit dont on essaie, souvent, en vain, de retrouver le goût à l'âge adulte. Car si le temps du match est périssable, fermé sur lui-même, nous plongeant l'espace de 90 minutes dans un infini de possibles, il permettrait par là même d'atteindre un sentiment d'éternité et de sécurité. Sensation qui aussitôt s'envole, et c'est pourquoi on y revient.

Car au fond, peu importe qui l'a emporté sur le terrain : au foot, à la fin, Allemands ou pas, c'est toujours le temps qui gagne nous dit Toussaint, feignant de s'en désoler : « Je fais mine d'écrire sur le football, mais j'écris, comme toujours, sur le temps qui passe. »

Jean-Philippe Toussaint, mercredi 18 novembre à 18h30 à la librairie le Square


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