Kraftwerk 3D : l'attaque des clones


Musiques anti-spectaculaires par excellence, la house, la techno et toutes leurs copines interprétées du bout des doigts et la tête baissée voient régulièrement leurs vertus évocatrices surlignées par des scénographies ou projections d'une complexité à faire passer la Fête des lumières lyonnaise pour une expo de GIF animés – oui, ça existe ; non, ça ne devrait pas. C'est le crâne aux orbites rougeoyantes de Boys Noize, c'est la sphère recouverte d'une toile de cinéma de DJ Shadow, c'est la pyramide encadrée de néons de Daft Punk, c'est l'amas de polygones taillé pour le "mapping" d'Amon Tobin, c'est le cube en échafaudage d'Étienne de Crécy...

Pour avoir préfiguré ces musiques et érigé la rigidité au rang de performance, Kraftwerk ne pouvait qu'aller encore plus loin dans la recherche d'un équilibre entre fond sonore et forme scénique. C'est là qu'intervient la 3D, déployée par le truchement d'une paire de lunettes guère plus sophistiquée que celles distribuées dans les paquets de céréales. Un accessoire à l'image de l'univers développé par Ralf Hütter et ses copies successives au fil des ans : à la fois désuet et à la pointe.

Des paysages aux textures d'un autre âge défilant le long de l'Autobahn aux mannequins qui déploient au ralenti leurs bras cireux au rythme de We Are the Robots en passant par le cockpit de Space Lab, aussi réaliste que ceux des premiers logiciels de simulation de vol, le recours qu'a le groupe de cette technologie d'immersion n'a de fait rien de démonstratif. Redoublé par un découpage façon programme de musique classique, l'effet n'en est pas moins saisissant, au point d'annihiler chez des spectateurs déjà anonymisés par le port du gadget stéréoscopique susmentionné toute velléité de s'adonner à la danse, cette expression primitive de l'individualité – quand bien même ce best of gagne en live une puissance pulsative insoupçonnée.

Voir cette nuée de clones communier dans l'immobilité avec les quatre automates de Düsseldorf, rivés derrière leurs pupitres tels des prêcheurs transhumanistes, a quelque chose de profondément émouvant – et, en accord avec la vision développée par le groupe, de légèrement inquiétant. Du moins quand elle n'est pas, on l'a constaté à regret à Lyon au festival Nuits Sonores 2014, occupée à compresser les panoramas de synthèse qui s'offrent à elle en 240p et réduire ce qui devrait être le concert d'une vie (car c'est de cela qu'il s'agit) à un « J'y étais » de 140 signes. Humains après tout, vraiment.

Kraftwerk, vendredi 13 novembre à 20h à la MC2


<< article précédent
Kraftwerk : poupées de son