Déboussolant Mathias Énard

L'auteur de "Boussole", Prix Goncourt 2015, sera ce jeudi à la librairie Le Square. Critique.


En 2008, cinq ans après ses débuts littéraires (La Perfection du crime), Mathias Énard avait frappé fort et dur le monde des Lettres avec Zone, un exercice de style tenant en une phrase longue de 500 pages. L'érudition et la maîtrise du jeune écrivain qui parle perse et arabe sont déjà vertigineuses. Et si ses livres sont opaques, inégaux en épaisseur comme en qualité, ils font parler et ramassent les prix comme des attrape-poussière : le voilà pour Boussole, son dernier roman, couronné du Goncourt.

Cette érudition a transparu jusque dans les commentaires de jurés du Goncourt, reconnaissant avoir été déboussolés par le livre et n'y avoir pas tout compris – il faut, comme le personnage principal du roman, Franz, être musicologue mais aussi germanophile et incollable sur l'Orient pour s'y retrouver. Mais Boussole est bien plus qu'un roman que l'on trouve génial parce qu'il nous met face à nos lacunes – le génie attribué au bénéfice du doute en quelque sorte. Car ce prix vient notamment couronner, et c'est heureux, un courant passionnant : celui d'une littérature qui regarde vers l'Est, ce qui a toujours été le cas d'Énard – Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010) en est l'un des plus beaux exemples.

Et si l'on a beaucoup parlé de Boussole pour son évocation de la Syrie (effroyable Syrie que l'on remarque maintenant qu'elle est en sang et en ruines), il faut, bien au-delà, y voir un roman traversé par l'orientalisme (à lire  : l'interview de l'auteur). Ou pour le dire autrement, l'idée d'un retour à l'Orient comme nostalgie autant que comme voie de salut, dans les pas de la référence méconnue qu'est René Guénon, cité à longueur de temps par différents auteurs, du théoricien-yogi pop Pacôme Thiellement au primo-romancier Jean-Noël Orengo, tout juste décoré du prix de Flore pour La Fleur du Capital, roman-monde sur l'enfer-paradis qu'est Pattaya, Thaïlande (c'est bien la preuve que le soleil littéraire se lève à l'Est). C'est cet Est fantasmé, mythique et mystique, dont la première porte serait, si l'on en croit Énard, Vienne (c'est de là en tout cas que partent les souvenirs d'Orient et d'amour de Franz) qu'indique à tout crin Boussole. À charge pour le lecteur de ne pas se perdre en chemin.

Stéphane Duchêne

Rencontre avec Mathias Énard, jeudi 26 novembre à 18h30 à la librairie Le Square


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