Les Cowboys

La traque pendant 15 ans d'une jeune fille avalée par la mouvance radicale de l'islamisme, menée sans relâche par son père et son frère. Un drame familial aussi sobre que déchirant ; une plongée hallucinante dans 15 ans d'histoire immédiate et un télescopage insensé avec l'actualité. Édifiant.


Scénariste d'Audiard, Thomas Bidegain présentait trois films à Cannes cette année, dont Les Cowboys dans la Quinzaine des réalisateurs. Derrière ce titre trompeur évoquant presque une comédie dans le milieu des fans de country, on découvre une grande œuvre de cinéma ; un de ces premiers films affichant une époustouflante maîtrise dans la forme, la narration, la direction d'acteurs (François Damiens et Finnegan Oldfied, jeu dépouillé).

Bidegain manie comme personne l'art de la rupture de ton, de l'ellipse, s'abstenant de représenter ce qui se déduit. Montrer est, on l'oublie trop souvent, un choix autant qu'une responsabilité. Par ces impasses sur des plans dits "utilitaires", il confère à chaque séquence une valeur renforcée : aucune image ne doit sa place au hasard, chaque durée est mesurée. Sans jamais pontifier sur les causes du désordre géopolitique, en filigrane permanent de ce drame intimiste, il nous met des clés à disposition et glisse du polar sombre au genre épique avec une soudaineté qui finit par nous sembler naturelle.

Un écran qui pense

On laissera les complotistes bas du front à leurs délires, qui se persuadent que le surgissement de films évoquant l'islamisme radical corrobore leurs thèses malades ; tout comme on ignorera les censeurs étriqués, ânonnant cette antienne moisie sur la néfaste influence d'un cinéma supposé héroïser les terroristes. Pour eux, la vérité est sans doute plus difficile à admettre, à affronter : ce sont des auteurs, des réalisateurs, des "saltimbanques" si souvent raillés pour leur appartenance à la sphère du divertissement qui sont les meilleurs décrypteurs du temps présent. Une génération d'intellectuels, de penseurs capables de nous expliquer le cheminement des consciences qui semblait nous faire défaut – remplacée par des théoriciens haineux claquemurés en leur peur. En fait, elle existe et s'exprime à travers des thrillers, des drames, intériorisant les maux contemporains, les sublimant avec clarté, à l'instar des Cowboys.

Sans doute n'aurait-il pas eu la même apparence, écrit et tourné après le 13 novembre 2015. Mais, à l'instar de Made in France de Boukhrief, il offre aujourd'hui dans ses soubassements une vision lucide et dépassionnée des événements. La fiction ne dépasse ni ne rattrape la réalité : elle la révèle, la débarrasse du superflu sans s'embarrasser des précautions ouatées dont raffole notre société.

Les Cowboys
De Thomas Bidegain (Fr, 1h45) avec François Damiens, Finnegan Oldfield, Agathe Dronne…


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"La Lettre" de Paolo Nani : gras du bide et gras du rire