Mia Madre

Méditation mélancolique sur l'acceptation de l'inéluctable et réflexion sur la transmission, le nouveau Nanni Moretti est surtout un splendide portrait de femme au bord de la crise de nerfs, ainsi qu'au seuil d'une nouvelle vie. Vincent Raymond


Comme Almodóvar en son temps, Moretti s'était présenté à Cannes avec une œuvre aux échos mélodramatiques abordant sous toutes ses coutures le rapport à la mère. Longtemps pressenti comme un vainqueur possible de la Palme d'Or, Nanni avait finalement été écarté par le jury, comme Pedro autrefois… Les festivals sont des foires mettant en concurrence des films dissemblables, dont on n'apprécie les qualités singulières que lorsqu'ils sont vus à distance les uns des autres ; alors seulement ils ont leur chance d'être considérés pour ce qu'ils ce sont.

Mia Madre n'a rien des tressautants carnets politico-caustiques de Moretti ; et s'il appartient à cette veine réservée qui avait donné La Chambre du fils (le plus consensuel de ses films, Palme d'Or en 2001), il est heureusement davantage marqué de son sceau, en versant dans l'ironie et l'onirisme. Ce triple portrait de femmes (grand-mère, mère, fille) se centre sur une réalisatrice en plein marasme personnel et professionnel. Une femme entre deux âges mais dans sa globalité, qui assume un tournage compliqué, dont la vie privée s'effiloche – la mère se meurt peu à peu, la fille s'affranchit doucement. Et accomplissant en sus, bien sûr, les ingratitudes domestiques, que Moretti ne feint pas d'ignorer.

Moretti, l'aidant de la mère

Citation-contrepoint de celle de La Chambre du fils, l'affiche de Mia Madre présente en très gros plan un Moretti flou (bravo aux communicants : le cinéaste n'occupe dans le film qu'un rôle quasi subliminal, celui du frère de l'héroïne, tout dévoué à leur mère) mais se focalise quand même sur Margherita Buy. Âme du film, l'immense comédienne italienne, dont la notoriété reste étrangement discrète en France, illumine son personnage de feux contrastés. Elle suit un cheminement intérieur, tout en nuances et en silences ; un labyrinthe passant par des souvenirs, des rêves, des projections, des révélations : Margherita “élucide” ainsi sa mère (éminente latiniste) à la lumière des témoignages de sa fille et de ses élèves.

Cela pourrait être une introspection mortifère s'il n'y avait le coup de fouet asséné par le trublion John Turturro, incarnant l'insupportable cabotin qu'elle doit diriger dans son existence si compartimentée de réalisatrice. Fanfaron à gifler dont l'extravagance dissimule sa propre blessure, il est l'Auguste nécessaire dans le drame. L'indispensable rappel de la vie, et de l'impermanence du deuil…

Mia Madre
De Nanni Moretti (It,  1h47) avec Margherita Buy, John Turturro, Giulia Lazzarini…


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