"Orestie" de Castellucci : les feux de l'amour et de la mort

Critique de la pièce que le metteur en scène italien star va donner cette semaine à la MC2. Où il est question de tragédie, de corps hors norme, de sang et de mort.


C'est l'histoire d'Oreste, adolescent dont le père Agamemnon est assassiné par Égisthe, l'amant de sa mère Clytemnestre. Devenu adulte, Oreste se vengera en tuant le nouveau couple et deviendra donc matricide. Il faut connaître, même de façon partielle, la mythologie grecque, ces Feux de l'amour (et de la mort) antiques, pour saisir pleinement le travail que Romeo Castellucci a mené avec la trilogie d'Eschyle (458 av. J.-C).

Le metteur en scène italien est ainsi revenu au cœur de la tragédie, s'en est emparé pour la recracher sur scène, avec toute sa violence symbolique. Dans son Orestie, il y a peu de texte (il n'en reste que des lambeaux, en italien surtitré), mais beaucoup d'images fortes et dérangeantes – le spectacle est déconseillé au moins de 16 ans. Castellucci, diplômé des beaux-arts en scénographie et en peinture, y va à fond, jusqu'à l'écœurement.

Se réclamant du théâtre de la cruauté d'Antonin Artaud, son art est volontairement organique, comme dans cette première partie d'Orestie, avant le meurtre d'Agamemnon. Tout est sombre, anxiogène, rappelant certains tableaux de Francis Bacon. Les corps des comédiens sont volontairement hors norme : Clytemnestre est obèse, Agamemnon trisomique, Égisthe habillé en mode SM… Tout n'est que désolation, mais une désolation vue par les yeux d'un enfant (Oreste, d'une maigreur maladive) : le coryphée, chef de chœur dans la tragédie grecque antique, fait ainsi penser au lapin d'Alice au pays des merveilles ; mais un lapin balancé au cœur d'une salle de torture.

Encore ?

On sature, Romeo Castellucci surchargeant volontairement la barque. Pourtant, il fallait bien tout ça pour lancer, après l'entracte, la seconde partie, dans un silence et un décor blanc imposants. C'est le temps de la vengeance d'Oreste, du meurtre de Clytemnestre, de la fuite avec Pylade, de la persécution par les Érinyes (des déesses infernales campées ici par des singes – l'un des plus beaux tableaux de la pièce)…

Créé il y a vingt ans, Orestie a visiblement toujours autant de force, même si on s'approche parfois de l'esbroufe. Mais une esbroufe grandement maîtrisée avec des moyens gigantesques, Castellucci s'offrant par exemple le luxe de faire débouler sur scène deux chevaux le temps d'une simple apparition – il peut tout se permettre, c'est une rock star du théâtre contemporain. En découle un spectacle dérangeant, glaçant et paradoxalement très beau.

Orestie (une comédie organique ?), du mercredi 13 au samedi 16 janvier à la MC2


<< article précédent
Le monde selon Nicolas Meyrieux