Bolle-Reddat magnifie le Godot de Fréchuret

Cinq mois après la version magistrale de "Godot" par Jean-Pierre Vincent (à la MC2), le Grand angle de Voiron reçoit celle du Stéphanois Laurent Fréchuret : si le casting est plus inégal, la vivacité et la férocité de l'époustouflant texte de Beckett sont bien là. Nadja Pobel


En attendant Godot est un grand Beckett. Plus puissant que Fin de partie ou Premier amour qui tournent partout, c'est un véritable chef-d'œuvre, parfaite alchimie entre une désespérance profonde et un espoir ultime, celui d'être ensemble, toujours, même – et surtout – face à l'inéluctable. Laurent Fréchuret n'a pas souhaité faire le malin face à ce texte-monstre, bien lui en a pris : il suit les très précises indications que Beckett a livrées en didascalies. C'est dans ces contraintes qu'il trouve la liberté de rire.

Pour cela, le Stéphanois a convoqué un acteur immense, Jean-Claude Bolle-Reddat. Parfait Estragon qui, entre mille autres choses, a été membre de la troupe du Théâtre National de Strasbourg époque Martinelli et a joué au cinéma sous l'œil de François Ozon (Une nouvelle amie). En une fraction de seconde, Bolle-Reddat est juste : il tiendra cette tension deux heures durant, comme tombé de la lune et bien arrimé à cette terre d'où plus rien ne vient, surtout pas Godot. Face à lui, David Houri (Vladimir) joue moins des silences, semble presser le pas avec un rapport un brin paternaliste vis-à-vis de son compère pourtant plus âgé.

« Fous-moi la paix avec tes paysages ! »

Ce léger manque de fluidité dans le couple est un peu plus prégnant encore dans le duo Pozzo (Vincent Schmitt, trop en force) et Lucky (Maxime Dambrin, en déséquilibre parfait, comme échappé de Mad Max). L'essentiel est pourtant bien là, au pied de cet arbre décharné qui, dans le deuxième acte, reverdit un peu : l'humour, seul rempart pour passer outre la condition d'esclave de Lucky. Et cet étonnement juvénile pour, dans un deuxième temps, tenter de sauver la victime car « remarquez que j'aurais pu être à sa place et lui à la mienne, si le hasard ne s'y était pas opposé. À chacun son dû » comme le dit avec une placidité cinglante Pozzo.

Laurent Fréchuret parvient à ne jamais casser le fragile rythme de ce texte en deux parties, construit comme un boomerang avec des phrases se répétant comme le temps se dissout dans l'attente infinie. L'ennui n'est pas de la partie et la tendresse vainc la bêtise : « Nous naissons tous fous. Quelques-uns le demeurent » clame Estragon dans cette pièce aux échos permanents à Dieu – même si Beckett s'amusa à le nier. Constamment présent pour mieux être démasqué et raillé, la sainte divinité est ici renvoyée à ses chères études afin que l'altérité et l'humanité prennent tout l'espace : une sacrée bouffée d'oxygène.

En attendant Godot, mardi 9 et mercredi 10 février au Grand Angle (Voiron)


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