Rover, étranger en pays étrange

Né d'un retour d'exil forcé, Rover a transformé l'énigme du retour en questionnement existentiel et en voyage fascinant avec son premier disque, le très remarqué "Rover", manière de reprendre la route autrement. Le revoilà, enfant du paradoxe musical et géographique, avec "Let it Glow", album au minimalisme invisible, portrait d'un éternel étranger s'affirmant dans l'effacement et l'évasion. À découvrir sur la scène de la Belle électrique. Stéphane Duchêne


Dans l'Exode de la Bible, version King James, chapitre 2, verset 22, voici comment Moïse justifie de nommer l'un de ses fils Gershom (qui signifie à peu près « étranger en ces lieux »)  : « For (…) I've been a stranger in a strange land ». Autrement dit, « un étranger en pays étrange ». Un homme de l'exil permanent. L'expression inondera la pop culture, donnant son titre à des dizaines de chansons, des Byrds à U2. Et surtout à un fameux roman des années 1960 de Robert Heinlein (dont le titre français est En terre étrangère) comptant le retour sur terre d'un astronaute, seul survivant d'une mission sur Mars que l'expérience a spectaculairement transformé, et qui se sent du coup étranger sur sa propre planète. Cet étranger, au vu de son parcours de vie et à l'écoute de ses disques, ce pourrait être Timothée Régnier dit Rover.

Né en France, Timothée a grandi à l'étranger au gré des déménagements familiaux, de New York à ce Liban où il vivait avec son frère et dont il a été chassé comme un malpropre à la fin des années 2000 pour un problème de visa. Après un détour par Berlin, il atterrit seul en Bretagne, dans une maison familiale vide, avec une vie à reconstruire et la sensation, le monde parcouru, de n'être nulle part chez soi. « Tout laisser derrière soi, devoir rebondir, se réinventer, reconstruire sa vie, sur le papier ce n'est pas marrant nous confie-t-il. Heureusement, j'ai la chance d'être Français et que mes parents aient eu un endroit que je pouvais investir avec trois ou quatre instruments. » Une chance inespérée que, dans son malheur, il saura mettre à profit.

Dans le roman de Heinlein, le héros "martien", Valentin Michael Smith, outre qu'il a la capacité de faire disparaître les corps et les objets, a la faculté, induite par une hypersensibilité émotionnelle, de se retirer dans une sorte de paralysie corporelle, d'éloigner son esprit d'une réalité qui lui est trop difficile. C'est peu ou prou ce qu'a fait Timothée Régnier dans sa maison bretonne. S'immergeant dans la musique comme on entre en soi-même, il est devenu Rover et a façonné son premier album Rover comme on se construit une cabane ou une carapace. Pour se protéger mais aussi comme on pousse un cri dans l'espace.


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