Peter Milton Walsh : « Merci de ne pas m'avoir oublié »

Génie au destin contrarié et tragique tiré d'une retraite que l'on pensait définitive par une poignée de fans français, Peter Milton Walsh aka The Apartments a accouché en 2015 de "No Song, no spell, no madrigal", album hommage à son fils décédé aussi magistral que délicat, pudique que déchirant. Où l'on retrouve l'auteur de quelques albums cultes jamais oubliés par ceux qui ont eu la chance de les entendre, dont il vient livrer les plus grands moments sur scène en trio acoustique. Rencontre. Propos recueillis et traduits par Stéphane Duchêne.


A Life full of Farewells (1995) – en français : une vie pleine d'adieux – resta pendant longtemps le dernier album de The Apartments – on met volontairement Apart (1997)... à part. Celui avec lequel quelques fidèles fans happy fews firent leur deuil d'un "groupe" depuis longtemps porté par le seul Peter Milton Walsh, songwriter australien au nom et manières de poète dandy romantique anglais et à la carrière ad hoc : un Paradis perdu d'avance.

Entre fulgurances musicales, coups d'arrêts, ruptures, dépressions et coups du sort, Peter Milton Walsh n'a jamais eu le loisir de récolter la gloire connue à divers degrés par ses amis The Saints, The Go-Betweens (dont il fut un temps le quatrième membre), Mick Harvey ou Nick Cave. Mais en voulait-il vraiment : « J'ai peut-être eu envie, il y a un siècle, quand j'avais 18 ans à Brisbane, de devenir la plus grande rock star du monde, mais tout a déraillé si vite... La musique n'est pas qu'une activité spirituelle, c'est aussi une discipline et un business : écrire, enregistrer, répéter, faire de la promo, tourner et recommencer avec un autre disque, je n'ai jamais été très doué pour ça. » Qui plus est, ses Apartments originels sont, il faut le dire, vite ravagés par l'héroïne.

Malentendu

Mais après une parenthèse new-yorko-londonienne en compagnie de Robert Vickers puis Ed Kuepper, ex-The Saints, The Apartments reprennent vie en 1985 sur un malentendu conjuguant génie avéré et naïveté totale : « Une fois revenu en Australie, j'ai envoyé quelques chansons au label londonien Rough Trade. À l'époque, Rough Trade, c'était les Smiths, des camions entiers de démos tous les jours. Comment ai-je pu penser une seconde que ça pourrait marcher ? Eh bien ils m'ont signé pour enregistrer The Evening Visits... And Stays For Years. Rien que ça c'est complètement fou. Mais Rough Trade s'est très vite retrouvé sur la paille au départ des Smiths et ils m'ont rendu mon contrat au bout d'un an (rires). »

Les choses finiront par plus ou moins revenir à la normale pour ce poissard diplômé qui mettra huit années à publier Drift, plus indie rock, plus rêche et marqué par la dépression, « rapidement » suivi du délicat (ces arrangements !) A Life full of Farewells qui achève de conquérir le cœur de ses fans. Car depuis The Evening... le culte, en France, gonfle, entretenu par une bande d'Inrockuptibles.

Mais en 1997, il vient à peine de publier avec Ben Watt, d'Everything but the Girl, l'étrange Apart, où sa pop d'orfèvre s'électronise, quand la vie lui tombe sur la tête : « Mon fils aîné, Riley, est tombé très malade. C'était une situation de vie ou de mort et j'ai logiquement tout laissé en plan pour me consacrer à sa guérison. » Quand Riley décède, cet adieu en entraîne un autre : Walsh tire un trait sur sa carrière. «Je détestais ne serait-ce que l'idée de me dire "okay mon fils est mort, je peux maintenant retourner à mes occupations". »

Pendant dix ans, personne n'aura de nouvelles de Peter. Il faudra toute la persévérance de quelques fans, à commencer par le critique et musicien Emmanuel Tellier, pour retrouver sa trace et le convaincre de revenir faire un petit tour sur les scènes françaises : « J'ai trouvé cela absolument ridicule (rires). Je n'avais rien fait depuis des centaines d'années, je vivais à Sydney, comment est-ce que quelqu'un aurait pu être intéressé par une telle chose ? Mais Emmanuel a fini par me persuader que je sous-estimais l'intérêt qu'on me portait ici. »

Twenty One

Rapidement, une chose en entraînant une autre, les premiers concerts parisiens en 2009, puis 2012 (suivis d'une mini-tournée), appellent un EP acoustique avant que ne mûrisse l'idée d'un album. Autre paire de manches. Car si Peter insiste sur le rôle déterminant joué par Tellier et sa rencontre avec les musiciens Natasha Penot et Antoine Chaperon qui l'accompagnent sur scène pour cette tournée en trio, la sortie, inespérée, de No Song, No Spell, No Madrigal, près de 20 ans après son dernier disque, tient à une décision terrible : accepter de partager les chansons écrites dans l'intimité à la mémoire de son fils.

« Je pensais en être à jamais incapable, jusqu'à ce que je réalise que garder ces chansons pour moi, c'était garder pour moi et ma femme l'existence même de mon fils. Mon fils n'est plus là mais au moins, il vit à travers ces chansons pour toujours. Peu m'importait le résultat, j'étais parvenu à raconter une histoire dont je finissais par sentir au fond de moi qu'elle devait être racontée. Si je ne fais plus rien d'autre après, j'aurais au moins fait ça » ajoute-t-il avec des trémolos dans la voix – les mêmes que l'on croit entendre sur le déchirant Twenty one, lettre à un fils qui n'aura jamais 21 ans.

Le reste, cette tournée, le succès du crowdfunding qui a financé l'album, relève pour lui du miracle : « Rien n'aurait fonctionné si je l'avais programmé. Je navigue d'ailleurs toujours entre la surprise que tout cela soit réel et la gratitude, l'envie de remercier les gens qui aiment les chansons de The Apartments de simplement ne pas m'avoir oublié. Tout ce que j'ai à donner ce sont des chansons, je n'ai rien d'autre. » Et les chansons, elles, ont ceci de particulier, que même quand elles sont pleines d'Adieux, elles ne vous quittent jamais vraiment.

The Apartments

À la Maison de la musique de Meylan lundi 25 avril à 20h


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