"Paterson" : poète, vos papiers (du véhicule)

Une semaine ordinaire dans la vie de Paterson, chauffeur de bus à Paterson, New Jersey, et poète à ses heures. Après la voie du samouraï, Jim Jarmusch nous indique celle d'un contemplatif alter ego, transcendant le quotidien sur son carnet. Une échappée hors du temps bienvenue.


Dalí soutenait que la gare de Perpignan était le centre du monde. Alors la ville de Paterson, avec ses rues peu fréquentées, ses murs de briques rouges et sa quiétude provinciale, ne pourrait-elle pas être le nord magnétique de la poésie américaine ? Escale obligée – semble-t-il – pour une foule de maîtres du verbe, de Ginsberg à Iggy Pop, ce cadre apparemment dépourvu de pittoresque et de distractions a inspiré le poète et romancier américain William Carlos Williams tout au long de sa carrière.

Il est aussi la patrie d'un bien nommé Paterson, émule du précédent ; le lieu d'où il compose son œuvre dans le secret d'un carnet de notes, sans jamais se départir de son impassibilité. Citoyen en apparence quelconque d'une ville banale, Paterson trouve dans son train-train matière à émerveillement, transmutant les choses vues en vues singulières.

Carnet de notes sur revêtement de ville

Emboîtant les pas de ce scribe machiniste, Jim Jarmusch révèle le caractère ininterrompu du processus d'écriture : entre la cristallisation de l'inspiration et la fixation du texte sur le papier, les mots s'affichent, s'accumulent, s'agencent dans son esprit – et, pour nous, sur l'écran. Si l'existence terrestre alimente la vie intérieure du poète à l'opiniâtreté silencieuse, celle-ci obéit en fin de compte à une mécanique routinière identique, puisqu'un poème va chasser l'autre. Paterson est en somme un double Sisyphe, mais un Sisyphe heureux. Heureux en ménage, de surcroît, aux côtés de sa fantasque Laura, laquelle n'a pas encore trouvé le canal pour exprimer son débordant besoin de créer. Là où son époux écrit comme l'on respire, par nécessité, mais sans intention de bâtir ni laisser d'œuvre, Laura envisage surtout avec candeur les conséquences bénéfiques d'un succès artistique.

Jolie méditation sur le miracle perpétuel autant qu'inconscient de l'écriture, Paterson est parsemé de bouffées nipponisantes et d'instants fantastiques – notamment dans son obsession de la gémellité. Sans s'en douter, il forme le premier volet d'un extraordinaire triptyque de films évoquant la création littéraire et interrogeant la place de l'auteur à l'intérieur même de son œuvre. Neruda de Pablo Larrain et Citoyen d'honneur Mariano Cohn & Gastón Duprat complèteront ce tableau début 2017.

Paterson
de Jim Jarmusch (E.U., 1h58) avec Adam Driver, Golshifteh Farahani, Kara Hayward…


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