Une Nuit de la lecture... interdite aux moins de 16 ans !

"La Nuit des lectures interdites" s'annonce brûlante à plus d'une ligne. Initiée par le ministère de la culture, sa déclinaison grenobloise traitera de la censure, politique comme érotique. Rencontre avec Carine D'Inca, organisatrice du Printemps du livre et porteuse du projet, pour en savoir plus sur le déroulé de la soirée et les auteurs choisis (comme la romancière turque récemment libérée Asli Erdogan).


Samedi 14 janvier aura lieu à Grenoble "La Nuit des lectures interdites". De quoi s'agit-il ?

La manifestation nationale s'intitule "La Nuit de la lecture", et pour Grenoble, nous l'avons baptisée "La Nuit des lectures interdites". Comme on est un peu pris par le temps, il y a un seul événement à la bibliothèque du centre-ville. Ça sera plus développé l'année prochaine et avec différents axes.

Avec l'équipe du Printemps du livre, les comédiens du collectif Troisième bureau et un noyau de bibliothécaires, on s'est ainsi dit : "si on faisait un truc pour les adultes, voire poussons le truc un peu loin en interdisant la soirée aux enfants". D'où les lectures interdites aux moins de 16 ans. Mais on s'amuse avec ça en fait, ça ne peut pas être très dangereux d'entendre des textes.

Et du coup, que recouvre cette expression de "lectures interdites" ?

On s'est orientés sur des lectures interdites au sens large, ce qui ouvre le champ à des textes érotiques mais aussi politiques, d'hier et d'aujourd'hui, car il y a différentes sortes d'interdits. De tout temps, il y a eu des textes décriés, censurés, soit parce que ce n'était pas correcte politiquement par rapport au pouvoir en place, soit pour outrage aux bonnes mœurs. On joue sur ces différents paliers.

Comment se déroulera de la soirée ?

Il y aura trois comédiens professionnels du collectif Troisième bureau ainsi qu'un petit groupe de bibliothécaires, pour compléter les forces, qui feront des lectures. On est en train de creuser les textes, en cherchant à toucher un public large et en le sollicitant pour qu'il nous propose des romans.

Mais on souhaite aussi toucher les gens individuellement, en se rappelant nos propres lectures interdites. Des livres qu'on a lus alors qu'ils ne nous étaient pas destinés. On invite donc le public à raconter des souvenirs de lectures interdites et à discuter autour du plaisir ressenti en transgressant cet interdit.

Et pour que ça soit convivial, on demande aux gens d'amener leur fruit défendu, les textes en question ou de quoi grignoter, ou même les deux. Les lectures seront ainsi coupées par des moments d'échanges.

Pouvez-vous nous donner quelques noms d'auteurs qui seront lus, même si la sélection est encore en cours ?

Côté censure contemporaine, s'il y a bien une auteure pas loin de chez nous dont on veut faire taire la voix d'écrivaine et de journaliste, c'est Asli Erdogan. À savoir qu'on ne se découvre pas des affinités avec cette auteure seulement aujourd'hui, elles existent depuis longtemps puisqu'on l'avait fait venir à Grenoble il y a quelques années. C'est une belle manière de faire entendre ces voix, qui dans leur pays sont bridées.

On lira aussi des extraits du livre Le Messie du Darfour d'Abdelaziz Baraka Sakin. Il a été expulsé de son pays à cause de ses écrits, mais son livre circule sous le manteau dans les camps de réfugiés au Darfour.

On entendra également du Nicolas Genka. Il parle notamment de pédophilie et de pédophilie homosexuelle. Ce ne sont pas des textes faciles mais entendre des extraits pour leur qualité littéraire et dans le gênant de leur propos, c'est intéressant. La littérature, ce n'est pas quelque chose de lisse, ça peut perturber, déranger.

Il y aura aussi du Pierre Guyotat, avec Eden Eden, texte censuré jusqu'au début des années 1980 ; Genet car c'est bien de s'appuyer sur des classiques. Et des femmes avec Violette Leduc, Colette, mais aussi Annie Ernaux, dont les livres ont fait sacrément scandale car c'est de l'autofiction.

Et aussi du Sade, du Baudelaire, du Boris Vian, du Stendhal… Une soirée de lecture assez hétérogène dans les styles, le but étant d'amener des commentaires pour expliquer la censure.

Quels sont les objectifs de cette nuit ?

Avec le Printemps, on a développé des moments de lecture. Ce sont des beaux moments de partages autour de la littérature. La faire porter par un comédien ou un auteur et être plusieurs à l'entendre pour échanger ensuite, c'est une proposition qui plaît au public.

La lecture, c'est quand même une pratique essentiellement solitaire et pourtant on a des choses à dire dessus. C'est extrêmement stimulant pour les lecteurs de confronter leurs avis, leurs impressions. Puis la lecture par les auteurs ou des comédiens ouvre des portes, c'est une façon de saisir les textes autrement.


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