Silence

En relatant le chemin de croix de jésuites du XVIIe siècle éprouvant leur foi en évangélisant un Japon rétif à la conversion, Scorsese le contemplatif explore ici sa face mystique — ce nécessaire ubac permettant à son œuvre d'atteindre des sommets.


Loin d'être monochromatique, la filmographie de Scorsese reflète depuis toujours une admiration conjointe pour deux mondes ritualisés : le temporel des truands et le spirituel des religieux. S'il n'y a guère de malfrats dans Silence, on y découvre toutefois quelques châtiments pratiqués par les autorités nippones sur les chrétiens refusant d'apostasier, et que des mafieux trouveraient à leur goût ! La violence des confrontations entre ces deux univers autour de la notion de foi ne pouvait que fasciner le réalisateur de Taxi Driver et de Casino. Pour autant, Silence ne s'inscrit pas dans la veine stylistique des Infiltrés ou des Affranchis : la question intérieure et méditative prime sur la frénésie exaltée. Lent, posé, d'inspiration asiatique dans sa facture, il se rapproche du semi ésotérique Kundun (1997).

Chacun sa croix

Débutant par la recherche d'un missionnaire porté disparu, Silence se poursuit par une succession d'introspections pour le père Rodrigues parti sur ses traces. Feindre une abjuration ou fouler aux pieds des icônes dans le but de de poursuivre sa mission d'évangélisation ne serait-il pas plus “productif” que de mourir orgueilleusement en martyr, puisque la tentation se présente ? Livrant son lot de réponses contradictoires, le film est une interrogation en mouvement, montrant la labilité extrême de l'être humain face aux grands choix, et notamment son doute chronique quant à l'existence de Dieu. Il révèle aussi son paradoxal besoin d'idolâtre des fétiches et de s'y soumettre, quitte à y perdre la vie. Les crucifix ici, comme les dollars pour Jordan Belfort. Ce n'est certainement pas un hasard si la lente maturation du livre de Shusaku Endo, dont le film est adapté, a abouti après Le Loup de Wall Street : malgré les différences radicales d'approche, Rodrigues est en apparence condamné à abandonner une “illégalité” sans issue, à l'instar de Belfort.

Silence peut dérouter le spectateur, en exigeant qu'il adopte son rythme et comprenne son indécision. Mais loin d'être une œuvre prosélyte, il ne recèle ni ne proclame de vérité. Peut-être peut-il aider chacun(e) à se recentrer. Hors des chapelles.

Silence de Martin Scorsese (É-U.-It.-Mex.-Jap., avec avertissements, 2h41) avec Andrew Garfield, Adam Driver, Liam Neeson… (sortie le 8 février)


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Martin Scorsese : « Je vis toujours avec Silence »