"Orpheline" : seule(s) au monde

De l'enfance à l'âge adulte, le portrait chinois d'une femme jamais identique et cependant toujours la même, d'un traumatisme initial à un déchirement volontaire. Une œuvre d'amour, de vengeance et d'injustices signée Arnaud des Pallières et servie par un quatuor de comédiennes renversantes.


Enseignante et enceinte, Renée reçoit la visite surprise dans sa classe de la belle Tara, fantôme d'autrefois. Peu après, la police l'arrête dévoilant devant son époux médusé sa réelle identité, Sandra. Elle qui avait voulu oublier son passé, se le reprend en pleine face : sa jeunesse délinquante, son adolescence perturbée, jusqu'à un drame fondateur. Comme vivre après ça ?

Il faut rendre grâce à Arnaud des Pallières d'avoir osé confier à trois actrices aux physionomies différentes le soin d'incarner les avatars successifs d'un unique personnage. Ce parti pris n'a rien d'un gadget publicitaire ni d'une coquetterie, puisqu'il sert pleinement un propos narratif : montrer qu'une existence est un fil discontinu, obtenu par la réalisation de plusieurs "moi" juxtaposés.

À chaque étape, chaque métamorphose en somme, Kiki-Karine-Sandra abandonne un peu d'elle-même, une exuvie la rendant orpheline de son identité passée et l'obligeant à accomplir le deuil de sa propre personne pour évoluer, grandir, s'améliorer. Ce qui n'est pas le cas de son vénéneux génie, l'immarcescible Tara, qui revêt les traits de la comédienne Gemma Arterton.

Brelan de dames

La construction par flashbacks, allers-retours et emboîtements, si elle renvoie au polar du fait des mystères de l'intrigue, évoque également un effeuillage psychologique : par ce film, nous creusons afin de trouver l'identité première de Renée et comprendre ce qui l'a chamboulée. Un traumatisme initial, une culpabilité enfermée (à plus d'un titre) qui scelle le début de ses douleurs, de ses erreurs – le début, car malgré toutes ses tentatives pour rectifier le tir, le fatum ne cessera de poursuivre Renée.

On a salué d'entrée l'inspiration du cinéaste ; mais que serait Orpheline sans ses interprètes, choisies parmi la quintessence de la jeune garde du cinéma français, qui ont accepté d'être "plus petites" que leur personnage en acceptant de se le partager, comme jadis Carole Bouquet et Angela Molina dans Cet obscur objet du désir (1977) de Buñuel.

Des Pallières est sans doute allé à la facilité en distribuant à Adèle Haenel le visage de la gravité et à Adèle Exarchopoulos celui de la voleuse aux amours saphiques (comme un air de déjà-vu), mais en ajoutant à son équation Solène Rigot, il a complexifié le portrait de son héroïne. Et nous a fait nous attacher à elle.

Orpheline
de Arnaud des Pallières (Fr, 1h51) avec Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos, Solène Rigot, Gemma Arterton…


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