Qui va piano va Shannon (Wright)

Après avoir failli, comme souvent, raccrocher les crampons, c'est en remisant les guitares que l'Américaine Shannon Wright s'est refait une santé sur son dernier album "Division". La plupart du temps au piano, d'une intensité qui va de la douceur la plus absolue aux éclats de rage pas toujours étouffée, la musicienne de Jacksonville livre un album, en forme sans doute de parenthèse, qui est l'un de ses plus poignants.


Cela fait presque 20 ans que Shannon Wright traîne son bâton de pèlerine indé sur les scènes d'Amérique et d'Europe (plus particulièrement de France) avec, dans ses valises, une discographie impeccable et tourmentée qui n'est pourtant jamais parvenue à lui faire franchir l'ornière qui la sépare de la notoriété. Mais l'eut-elle seulement voulu – c'est encore autre chose...

Car l'âpreté de la voie indé qu'elle s'est choisie (par souci inaltérable d'éviter les compromissions) autant qu'elle la subit (ce n'est pas ainsi qu'on gagne sa vie, en réalité) a parfois conduit Shannon Wright au bord de l'abandon. Non pas celui auquel elle se livre sans retenue sur scène, dissimulée derrière une timidité maladive et quelques mèches de cheveux, ou sur disque, cachée derrière une rage sans emphase, mais celui qui la verrait tout plaquer pour de bon.

Ce fut le cas en 1995, quand elle quitta le groupe Crowsdell, (un peu trop) mené par Stephen Malkmus (ex-Pavement) ; en 2007 encore, éreintée ; puis en 2015 quand, à l'heure d'en finir avec la tournée d'In Film Sound, la pianiste Katia Labèque la rattrapa par le bras et la jeta dans un studio avec un piano.

Fragilité

Là se produisit un déclic qui la conduit à travailler avec David Chalmin, le producteur des sœurs Labèque. Et à enregistrer un album, Division (2017), où forcément le piano (et parfois l'orgue Casio  splendide Accidental) met de côté la guitare (morceau-titre introductif mis à part, en relais avec le précédent et rageur In film sound) comme pour évacuer un trop plein, et permet à la Wright girl de préserver l'intensité toujours à vif de compositions qui la font souvent fondre en larmes la première. Une fragilité qui poind plus que jamais mais n'empêche pas l'emballement lorsque les notes de piano de Soft Noise se font tempête au milieu d'un orage électronique.

Si elle n'a pas raccroché, loin de là, Shannon Wright semble ici s'exprimer depuis une retraite à la fois intérieure et stylistique qui aurait pour seule vocation de nous guider vers elle, à travers l'orage qui menace et que la musicienne de Jacksonville maintient sous un splendide couvercle. Ou dans une parenthèse désenchantée. Un cocon pour se refaire.  

Shannon Wright [+ Olivier Depardon]
À la Bobine vendredi 12 mai à 20h30


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