Avec "Alien : Covenant", la bête immonde est de retour

Après une patiente incubation, Ridley Scott accouche, avec "Alien : Covenant", de son troisième opus dans la vieille saga "Alien" (débutée en 1979), participant de son édification et de sa cohérence. Cette nouvelle pièce majeure semble de surcroît amorcer la convergence avec son autre univers totémique, "Blade Runner". Excitant.


L'ouverture d'Alien : Covenant se fait sur un œil se dessillant en très gros plan. Ce regard tout neuf et empli d'interrogations est porté par l'androïde David, création du milliardaire Peter Weyland. Aussitôt s'engage entre la créature et son démiurge une conversation philosophique sur l'origine de la vie, où affleure le désir de la machine de survivre à son concepteur. L'image mimétique d'un instinct de survie, en quelque sorte. 

Cet œil inaugural, immense et écarquillé, reflétant le monde qui l'entoure, fait doublement écho non à Prometheus,  préquelle de la saga sorti en 2012, mais à l'incipit de Blade Runner (1982) du même Ridley Scott. L'œil y apparaît pareillement, pour réfléchir un décor futuriste et comme miroir de l'âme : c'est en effet par l'observation des mouvements de la pupille lors du fameux test de Voight-Kampff que l'on parvient à trier les authentiques humains de leurs simulacres synthétiques, les "répliquants". Le David d'Alien rêve-t-il, comme eux, de moutons électriques ?

Il n'est en tout cas pas anodin que Scott s'interroge à nouveau sur le désir d'une intelligence artificielle de supplanter celle qui l'a programmée. Ni qu'il effectue aujourd'hui ce singulier rapprochement entre ces deux stèles de la science-fiction qu'il a érigées dans le dernier quart du XXe siècle.

Clonage de faire

Covenant suit une trame identique à Alien et Prometheus : attiré par un message, l'équipage d'un vaisseau se rend sur une planète, y débarque, se fait contaminer par un alien et doit éliminer le xénomorphe les ayant quasiment exterminés. À l'instar de moult confrères, Scott paraît refaire le même film à l'envi ; mais ce n'est qu'un faux-semblant. Si d'aucuns révisent inlassablement leurs productions passées en les triturant par le numérique (restant de fait les prisonniers dorés de leur univers étendu), Scott remet à chaque épisode l'ouvrage sur le métier pour en approfondir les zones obscures. 

On s'extasie bien volontiers devant l'ingéniosité des showrunners de séries télévisées, capables d'imaginer des emboitements logiques pour légitimer les plus improbables ramifications découlant de leurs digressions ; Michael Green, John Logan et Jack Paglen, scénaristes de Covenant,  ne méritent pas moins d'admiration ni d'éloges.

Leurs trouvailles donnent ici une réelle cohérence à la saga, en s'appuyant sur des préceptes biologiques indiscutables. Loin de banaliser l'étrangeté menaçant de l'alien et de ses multiples avatars (on découvre ici le néomorphe, dont la blancheur rappelle l'ogre du Labyrinthe de Pan),  Convenant confirme son inclusion dans la normalité du vivant, et en renforce donc le caractère supérieurement terrifiant.

Il était une proie…

Dans Convenant, l'être humain se trouve de facto pris en étau entre deux entités évolutives mutant plus rapidement que lui : d'un côté la machine (au départ sa créature faisant sécession et abstraction des lois d'Asimov), de l'autre l'alien, issu d'un génie génétique initialement extraterrestre. Deux espèces n'ayant pas d'intérêt à se détruire mutuellement, mais capable de sceller des pactes tacites pour décimer du Terrien.

Dans la première tétralogie, l'héroïne incarnée par Sigourney Weaver était une simple humaine ; aujourd'hui, c'est Michael Fassbender qui campe le personnage récurrent. Pivot dramatique, Janus de Covenant, il est surtout un androïde dans une série portant le nom d'un monstre anthropophage. Autrement dit, l'humanité tend à disparaître d'Alien.

Scott revendique une noirceur plus prononcée, un pessimisme accru. Le fait est que le futur n'a jamais été aussi incertain, et l'intelligence collective jamais paru aussi autant artificielle. On peut se consoler en se disant que si les artistes jouent les Cassandre en imaginant des apocalypses, le pire finira par ne pas advenir…

Alien : Covenant 
De Ridley Scott (É.-U.-G.-B., 2h02) avec Michael Fassbender, Katherine Waterston, Billy Crudup, Danny McBride…


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