Bernard Garnier : « Pour un "Troisième théâtre" dédié aux auteurs vivants »

Alors que la nouvelle édition de Regards croisés, festival centré sur les écritures théâtrales contemporaines, commence ce mercredi 17 mai au Nouveau Théâtre Sainte-Marie-d'en-Bas, nous avons proposé au collectif Troisième bureau qui l'organise de nous expliquer pourquoi, pour paraphraser Roland Blanche‌, « lire les auteurs vivants, c'est comme manger chaud, c'est meilleur ».


Où sont les autrices et les auteurs dramatiques de notre époque ? Quoi de neuf sur les scènes des théâtres depuis Shakespeare, Molière, Marivaux, Tchekhov, Brecht, Beckett… ? Cette question, qui semblerait saugrenue dans la plupart des pays européens, reste « dramatiquement » d'actualité en France. C'est celle que nous nous sommes posée il y a dix-sept ans. « Nous », une bande réunissant professionnel-le-s du théâtre, du livre ou de l'éducation, curieux d'un théâtre qui s'écrit maintenant, d'un théâtre qui aborde les problématiques de notre époque, avec une langue d'aujourd'hui.

Nous n'av[i]ons rien contre les textes du répertoire, mais comme le déclarait déjà l'auteur Bernard-Marie Koltès dans une série d'entretiens il y a une trentaine d'années (1), « ce n'est pas vrai que des auteurs qui ont deux ou trois cents ans racontent des histoires d'aujourd'hui. On peut toujours trouver des équivalences, mais on ne [me] fera pas croire que les histoires d'amour de Lisette et Arlequin sont contemporaines ; aujourd'hui l'amour se dit autrement, donc ce n'est pas le même ».

Ne pas s'endormir

Cette question de la langue n'est pas anodine. Les lycéen-ne-s avec qui nous travaillons chaque année le perçoivent très vite. Les textes que nous leur faisons lire ne les laissent pas indifférents. Une fois passée la surprise de découvrir un « autre » théâtre que celui qu'ils étudient habituellement, ils s'en emparent et s'y plongent avec ferveur pour le défendre, ou le critiquer. « Le public le meilleur pour le contemporain, c'est le public jeune. Il accepte d'autant plus le travail des textes contemporains que l'écriture est chahutée, mise en question, hors des normes » écrit l'auteur Michel Simonot dans un rapport paru en 2001 (2).

Ne pas s'endormir (dans des fauteuils confortables) ; se laisser chahuter par les auteurs d'aujourd'hui, voilà un beau programme ! Encore faudrait-il que les théâtres les programment un peu plus. Car c'est une chance inouïe aujourd'hui pour un auteur « vivant » d'être joué. Il faudrait alors multiplier les modes de présence des écritures contemporaines, de la lecture au spectacle en passant par les résidences.

Habiter les théâtres

Pour ne pas rester hors sol, il faut qu'auteurs, artistes, techniciens et public habitent les théâtres, que ceux-ci soient des lieux de vie. Ils n'ont pas besoin d'être très grands. Le format « poche » correspond aux enjeux des écritures d'aujourd'hui. Ils sont l'opportunité d'une diversité indispensable qui fortifie les lieux institutionnels. Ils sont une condition pour constituer un public des écritures contemporaines.

L'élargissement des publics demande de sortir de la consommation pour entrer dans la construction commune. Car il n'y a pas d'opposition entre le travail artistique et l'action culturelle. C'est ce à quoi œuvre le collectif Troisième bureau depuis pas mal d'années, notamment au travers de son festival Regards croisés. Alors ce matin en écoutant siffler les merles moqueurs, je me dis que nous avons eu raison de nous lancer dans cette aventure.


(1) Une part de ma vie, Bernard-Marie Koltès, Éditions de Minuit, 1999/2010

(2) De l'écriture à la scène, Michel Simonot, revue Friction, Théâtre Dijon-Bourgogne, 2001


<< article précédent
"Les fantômes d'Ismaël" : un Desplechin vertigineusement délicieux