"Ava" : et Noée Abita creva l'écran

Dernier été pour les yeux d'Ava, ado condamnée à la cécité s'affranchissant des interdits ; et premiers regards sur le cinéma de Léa Mysius (coscénariste des "Fantômes d'Ismaël" d'Arnaud Desplechin) avec ce film troublant et troublé, ivre de la séduction solaire de la jeune Noée Abita.


Ava a treize ans, une mère célibataire fantasque, une petite sœur au biberon et une maladie qui va la rendre aveugle à la fin des grandes vacances. Loin de s'apitoyer sur son sort, l'ado profite de ce qui lui reste de vue pour longer les marges avec un jeune gitan qui la fascine…

Bonne pioche pour la Semaine de la Critique du dernier Festival de Cannes que ce premier long-métrage de Léa Mysius, tout à la fois empli de la vitalité rebelle de la jeunesse et confronté à l'inéluctable d'une disparition précoce. Un poème sensoriel débarrassé d'un ancrage forcené au réalisme : Ava s'octroie ainsi des parenthèses de folie douce lorsqu'il s'agit d'évoquer le ressenti de la liberté, le frisson de l'incertain. Une révolte métaphorique dans une fuite à la poursuite de la beauté, où la suggestion discrète l'emporte sur la pataude monstration.

Garde à vue

On sait combien un film peut se trouver transfiguré par son acteur·trice grâce à l'accord intime entre l'interprète et son personnage. Ce que livre ici la débutante Noée Abita tient de la vibration : à l'âge des métamorphoses, avec son regard fixe et sa moue évoquant Adèle Exarchopoulos ou L'Effrontée ayant intériorisé tous ses désirs pour mieux les saisir, elle offre simultanément un visage d'innocence enfantine et une stupéfiante gravité. C'est dans l'absence d'effet de performances ou d'outrances en skaï guimauve qu'elle révèle sa puissance. "Less is always more".

À sa nature bouleversante répond la présence familière de Laure Calamy, idéale ici dans un de ces emplois de cyclothymiques extraverties qu'on lui connaît – celui de la mère. Longtemps silhouette, devenue visage, puis second rôle régulier et sympathique (notamment dans la série Dix pour cent), la comédienne va se trouver simultanément à l'affiche de nombreux films par le hasard de sorties concomitantes. Pour un·e interprète, la tentation est immense de répondre à toutes les sollicitations, qui sont autant de déclarations d'amour émanant des cinéastes ; grand est alors le risque de se "berléaniser". Souhaitons-lui, pour maintenir ce désir intact, de préserver sa part de mystère en se montrant plus rare. Ou sélective.

Ava
de Léa Mysius (Fr., 1h45) avec Noée Abita, Laure Calamy, Juan Cano…


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