"Visages, Villages" : Agnès Varda et JR à la colle

Sans vraiment se connaître, une figure tutélaire des arts visuels (la cinéaste Agnès Varda) et une nouvelle tête du street art (JR) partent ensemble tirer le portrait de bobines anonymes et dévider le fil de leur vie. Hanté par les fantômes de la première, ce buddy-road-movie est surtout un film sur le regard.


L'attelage peut paraître baroque. Agnès Varda, auto-proclamée non sans humour "grand-mère de la Nouvelle Vague", s'allie à JR, l'installateur graphique à la mode. On ne peut suspecter la malicieuse doyenne des cinéastes français de tenter un coup de pub. Il s'agit là de curiosité pour la démarche de son cadet : avant même sa naissance, ne tournait-elle pas déjà Mur, murs (1980), un documentaire sur ce support que l'ancien graffeur affectionne ? Donnant le tempo, mais aussi son architecture globale au projet (elle a assumé quasi seule la discipline du montage, c'est-à-dire de l'écriture finale du film), Agnès Varda guide notre regard et montre ce qu'elle a envie de montrer. 

Tout à l'œil

Davantage que la "machinerie" JR (l'alpha et l'oméga du dispositif technique de la photo grand format de gens normaux contrecollée sur des murs), le film capte l'interaction de cette image avec les modèles, les passants ou parfois les souvenirs. La photo se fait catalyseur, porte d'entrée dans leur intimité, dans leurs histoires. Bienveillante sage-femme, Varda obtient des fragments de vécu dont le récit surpasse par sa sincérité toute forme de construction plastique éphémère.

Elle aussi se raconte, pudiquement, sans s'épargner cependant. D'ailleurs, lorsqu'elle accepte de se faire chambrer (photographier ou affectueusement moquer) par JR, c'est pour servir un sous-thème mélancolique : le chant du cygne de sa propre vision, grignotée par la maladie. Induit-elle chez JR le désir inconscient de la représenter face à cette image de son regard qui s'enfuit ? On la suspecte plus encline à l'empathie qu'à la manipulation... 

Il y a en tout cas dans ce film un réel méta-réalisateur, le surplombant de sa fantomatique absence et donnant lieu à un singulier coup de théâtre. Cet œil suprême, c'est l'autre survivant de la Vague, le reclus de Rolle, qui joue à l'ermite hermétique – Jean-Luc Godard. Son invocation à l'intérieur du film (et ce qui s'ensuit) vaudrait Visages, Villages de le créditer comme troisième coréalisateur. Mais elle valide également le proverbe "loin des yeux, loin du cœur"…

Visages, Villages
de et avec Agnès Varda & JR (Fr., 1h29) documentaire


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