Vous êtes passionné de photographie et de jazz. Depuis de nombreuses années vous suiviez inlassablement les musiciens en tournée. Quest-ce qui, selon vous, fait lessence dune bonne photographie de jazz ?
Pascal Kober : La saisie dun instant fort de lexistence hors scène, le fait que lon puisse voir la relation un peu complice entre le photographe et son modèle dun jour. Même si je suis dans le registre du reportage, pas dans celui de lesthétique. Ce qui est présenté au Musée de lAncien Évêché, ce nest donc pas un travail dartiste mais bien un travail de photojournaliste.
En août dernier, pour préparer lexposition, jai passé un mois plongé dans plus de 30 ans darchives pour trouver une espèce de patte Kober dans la facture. Mais ce na pas été le cas. Cest pour ça que jinsiste sur laspect photojournaliste. Ceci dit, dans la sélection présentée au musée, si le critère esthétique a parfois compté, cest avant tout la recherche dun instant de vie.
Quelles évolutions avez-vous constatées durant ces décennies dactivité dans le jazz et la photographie ?
Jai commencé il y a 40 ans : la première photographie professionnelle présentée dans lexpo date de 1979. En 40 ans, la technique et le matériel photographiques ont énormément évolué. Je suis passé du noir et blanc quand jétais gamin, parce que je navais pas de sous pour faire de la couleur, à la couleur quand jai commencé à bosser. Jai travaillé pour la presse, du coup jai testé pas mal dappareils et en particulier les premiers appareils numériques qui avaient très peu de pixels au compteur, à la fin des années 1990 début 2000. Et je suis passé au numérique en 2003-2004, ce qui permet au moins cinq rendus différents. Mais la technique ne change pas réellement le rapport au musicien.
Par contre, dans le jazz cest un peu différent. Lessence de la musique perdure chez les musiciens, la relation bon enfant et lidée dune musique pas soumise aux règles du showbiz. Mais les rapports avec les agents, cest beaucoup plus compliqué. Par exemple, cette année à Jazz à Vienne, on nous interdit presque les deux tiers des moments de balances alors que le gros intérêt de ce festival est de pouvoir faire des photos dans laprès-midi sous la lumière solaire. Ça, cest quasiment terminé aujourdhui.
Alors je comprends que les artistes souhaitent contrôler un peu plus leur image, mais cest une partie de lhistoire du jazz qui disparaît si on ne photographie plus ces moments-là.
Vous présentez actuellement vos clichés au Musée de lAncien Évêché avec lexposition Abécédaire amoureux du jazz. Quel est lobjectif dune telle exposition ? Lenvie ?
À la base cest une commande, mais il y a évidement une envie qui est née. Après presque 35 ans de carrière, cest comme une consécration, une reconnaissance, qui plus est dun institut culturel alors que cest assez rare ce type dexposition. Lobjectif est de faire découvrir le jazz à un public large. Cest pour ça quon a mis une phrase du genre « pour ceux qui aiment le jazz et ceux qui pensent ne pas laimer ».
Une des volontés dIsabelle Lazier, directrice du musée, est douvrir lexposition à dautres champs que la photographie. Cest pour ça quil y a des playlists dans lexposition, que jai réalisées. Il y a un certain nombre de thèmes dans le répertoire jazz qui sont de très grands standards, y compris des chansons françaises. Jai volontairement choisi des thèmes extrêmement accessibles, ça me paraît être une bonne porte dentrée. Le jazz est une musique de divertissement à la base, ce nest pas une musique savante.
Pourquoi présenter lexposition sous forme dabécédaire ?
Quand je me suis plongé dans les archives, plusieurs fils rouges sont apparus comme le jazz vocal, le jazz au féminin, jazz en coulisse... Mais chacun de ces fils rouges était extrêmement réducteur par rapport à ma pratique. Jai aussi des photos de scène que jaime beaucoup, dhommes, de femmes qui ne chantent pas Et jai fini par avoir cette idée dabécédaire, pour tout montrer.
Il y a avait une première série de 4000 photos que jai réduite à 500, et sur ces 500 jai mis des mots-clés. Puis jai ressorti 26 mots qui me semblaient les plus pertinents, les plus forts, et ensuite jai travaillé en collaboration étroite avec Corinne Tourrasse, la scénographe et graphiste de lexposition et du livre. Cest elle au fond qui a choisi les photos parmi les 500, pour finalement avoir 123 clichés dans lexposition et un peu plus de 200 pour le livre je crois.