"Corps et âme" : de l'amour ; du vrai, du beau, du fort

Improbable comme la rencontre, dans un abattoir hongrois, entre un homme au bras handicapé et une femme légèrement autiste, cette romance nimbée d'onirique, pleine de vie dans un lieu de mort, touche au cœur par sa subtile poésie. Un Ours d'Or à la Berlinale 2017 signé par la réalisatrice Ildiko Enyedi.


Contrôleuse qualité récemment arrivée dans l'abattoir que dirige Endre, Mária se distingue par sa distance impassible et sa froideur mécanique. Découvrant par hasard qu'ils effectuent chaque nuit le même rêve, ils tentent de se rapprocher l'un de l'autre les jours suivants. À pas feutrés…

À mille lieues du cynisme dont l'époque se pourlèche, deux des plus grands festivals cinématographiques de la planète ont accordé cette année leur distinction suprême à des œuvres présentant une étrange gémellité, ainsi qu'une formidable audace : elles proposaient une authentique romance ; une histoire d'amour pure et simple entre deux êtres marginalisés par le reste du monde. Ainsi le Lion vénitien a-t-il rugi pour La Forme de l'eau de Guillermo del Toro (patience : il ne sera sur les écrans qu'en février), et l'Ours berlinois hurlé pour cet apprivoisement délicat, cette union de deux solitudes glacées célébrée par une cinéaste aussi rare que résolue dans ses choix.

Cerf moi fort

Car tourner une histoire sentimentale sans dérision goguenarde ni mièvrerie osidique tient aujourd'hui de l'acte politique (ou punk) ; il faut par ailleurs une sacrée inspiration pour faire émerger une poésie neuve de deux cervidés déambulant au milieu d'un paysage embrumé. Mais Ildiko Enyedi ose sans faillir, dissimulant à peine la trajectoire entre Endre et Mária sous une intrigue policière (prétexte nécessaire à leur rencontre) qui finit, comme le sang des bêtes, par s'écouler dans les égouts de l'oubli.

Avec son image tout en clarté jouant sur les transparences, les reflets, les pénombres, Corps et Âme cristallise et dilate ce moment infime de la rencontre amoureuse. Sous des dehors de givre, il palpite d'une émotion sincère, d'une douceur contagieuse à qui veut s'y abandonner. Avant d'être familier, le bonheur offre souvent un visage austère aux inconnus.

Corps et âme
de Ildiko Enyedi (Hon., 1h56) avec Alexandra Borbély, Morcsányi Géza, Réka Tenki…


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