"Lucky" : il était une fois Harry Dean Stanton

de John Carroll Lynch (E.-U., 1h28) avec Harry Dean Stanton, David Lynch, Ron Livingston…


Tous les jours, le vieux Lucky suit la même routine : un verre de lait, de la gym, ses mots croisés  au "diner" du coin et pas mal de cigarettes pour rythmer ses déambulations dans les rues de sa ville. Un jour, le nonagénaire a un étourdissement. Pour son toubib, rien de grave : il vieillit…

C'est peu dire qu'il y a des convergences entre Une histoire vraie (1999) de David Lynch et ce Lucky de John Carroll Lynch (aucun lien de parenté entre les deux réalisateurs). Outre la présence au générique de Harry Dean Stanton et de David Lynch (ce dernier, homonyme du réalisateur, se révélant un excellent interprète dans le costume d'un type presque normal), les films sont deux portraits tendres de vieilles personnes, à travers lesquels on devine toute l'admiration qu'un réalisateur peut porter à son comédien.

Rarement tête d'affiche (il ne l'avait plus guère été depuis Paris, Texas en 1984), Harry Dean Stanton trouve dans Lucky outre un piédestal, un film synthèse chargé jusqu'à la gueule de cette culture américaine ayant inspiré parmi les plus belles pages de la littérature dramatique contemporaine – ah, les scènes de bar avec les vieux habitués ! On se croirait chez Miller, Williams ou Mamet. Et puis, entre les lignes et les répliques, une autre Amérique affleure ; celle des vétérans et leur solitude de ceux qui vont bientôt passer. 

Avec sa silhouette de Mitchum décharné, de cow-boy du crépuscule, Stanton apparaît ici en majesté comme pour son ultime salut au public. Son regard-caméra surmontant un sourire triste dans la dernière séquence, peu avant qu'il ne quitte le champ (ou la scène), prend une étrange résonance : l'acteur étant décédé en septembre dernier, on ne sait plus vraiment si c'est le personnage ou Harry Dean Stanton qui nous dévisage avant de s'effacer dans la poussière du désert…


<< article précédent
"Transit Havana" : corps de rêve