Détours de Babel 2018 : nos coups de cœur

C'est parti pour la huitième édition des Détours de Babel, festival centré, comme l'indique son sous-titre, sur les musiques du monde, le jazz et les musiques nouvelles. Une manifestation comme chaque année d'une grande richesse, même si pas mal de propositions peuvent intimider de prime abord. On a donc parcouru consciencieusement l'ensemble du programme, bien ouvert nos oreilles et sélectionné quelques concerts à faire pendant ces trois semaines. Suivez-nous.


Ouverture avec star

On ne peut pas dire que les Détours de Babel sont réputés pour la foule de têtes d'affiche grand public qu'ils convoquent chaque année – même si, pour les amateurs des genres musicaux défendus par l'équipe organisatrice, celles et ceux dont on va causer dans cet article sont, à leur façon, des têtes d'affiche. Alors quand un nom un tant soit peu grand public ouvre les hostilités, il faut le souligner.

La chanteuse et musicienne malienne Rokia Traoré sera ainsi sur la scène de la Belle électrique lors de la première soirée du festival pour un concert mêlant sa culture malienne et des chansons françaises du répertoire comme celles de Brel et Ferré. De quoi commencer sur de bonnes bases, en parfaite adéquation avec le thème de cette édition : retour aux sources.

Rokia Traoré
À la Belle électrique vendredi 16 mars à 20h


John en Cage

Parmi les riches festivités du brunch Jazz no Jazz sis dans le quartier Très-Cloîtres, Rencontre d'un univers imaginaire explore le travail de John Cage (1912 – 1992), apôtre américain de la musique répétitive parti en guerre une vie durant contre les formalismes artistiques en général et musicaux en particulier. Le compositeur, également poète et plasticien, inspirateur du mouvement Fluxus, voua très vite son travail, écrit pour piano préparé et percussions, à l'expérimentation des rythmes et des sons, de leur hiérarchie, comme sur le morceau 4'33'' composé de silence et consacré à l'impossibilité même du silence. Mais Rencontre d'un univers imaginaire proposera des œuvres composées pour violons (Freeman Etudes) ou voix (Litany for the Whale). Intrigant.

Brunch Jazz no Jazz
Dans le quartier Très-Cloîtres dimanche 18 mars de 10h30 à 17h


L'Apocalypse de Pierre

C'est à l'aide d'un acousmonium, dispositif de diffusion du son immersif proche de celui qu'utilisait Pierre Henry, qu'un hommage sera rendu au maître de la musique électroacoustique décédé l'an dernier et mondialement connu pour son "tube" Messe pour le temps présent. Mais ce sont deux autres œuvres qui seront proposées : après une œuvre tardive et très expérimentale, Une Tour de Babel (1999), la star de la soirée sera L'Apocalypse de Jean (1968), son oratorio électronique en cinq temps, évidemment mystique, poétique, parfois terrifiant, tant dans sa mise en musique et en son que dans la lecture que fait le comédien Jean Negroni du texte adapté de Saint Jean par l'écrivain Georges Levitte.

Hommage à Pierre Henry
À l'Ancien Musée de peinture samedi 24 mars à 20h et 21h30


Jazz à plusieurs bandes

Hommage au compositeur roumain disparu en 2006 György Ligeti, Lüne 3000 réunit les comètes du jazz Roberto Negro et Émile Parisien ainsi que la super nova du Quatuor Béla. En préambule à cette rencontre alliant musiques savante et improvisée, cette dernière interprétera les Quatuors n°1 et 2 du maestro. Des complexités métriques contrastées et denses dont les musiciens immortalisaient au disque, en 2014, la vivante poésie. Puis dans une adaptation jazz pour piano et saxophone, Roberto Negro et Émile Parisien proposeront de renouveler notre regard sur ces mêmes pièces avant que l'ensemble de l'équipage ne les rejoigne pour l'envol final interstellaire.

À noter que le passionnant Roberto Negro sera également quelques jours plus tôt (le mercredi 21) à l'Ilyade avec Celui qui transporte des œufs ne se bagarre pas, création avec de nombreux musiciens autour de Kinshasa (capitale de la République démocratique du Congo) qui donne très envie.

Lüne 3000
À l'Hexagone mardi 27 mars à 20h


Jean-Sébastien Brad

« Pas question de faire du Bach jazzy » avance Brad Mehldau au sujet de son projet Three pieces after Bach, créé au Carnegie Hall (New York) en 2015. Inutile de dire que c'est heureux et que cela en dit une fois de plus beaucoup de la rigueur du pianiste américain tatoué et touche-à-tout, sans doute l'un des plus grands de son temps. Pour Mehldau, il s'agit avant tout de témoigner avec sa patte si particulière de l'héritage, souvent pointé par les critiques, de Bach dans sa propre musique, que le musicien traduit par des pièces (étourdissantes) que lui ont inspiré la musique du Cantor de Leipzig. Ni tout à fait Bach, ni tout à fait Brad ; mais à la manière des deux pour une belle rencontre au sommet.

Brad Mehldau, Three pieces after Bach
À la MC2 vendredi 30 mars à 20h30


Archie Bechet

Pionnier du jazz, le clarinettiste et saxophoniste soprano Sidney Bechet (1897 – 1959) connut une popularité si rapide et importante qu'elle finit par porter ombrage à l'importance musicale de son œuvre, considérée comme mainstream. Plus grave, dans une époque portant encore sévèrement les cicatrices de l'esclavage, Bechet le Créole était régulièrement qualifié de bounty (noir à l'extérieur, blanc à l'intérieur) comme nombre de noirs victimes de leur succès. Quelques frasques n'arrangèrent rien.

De fait, ce sont ses pairs qui ont contribué à le réhabiliter musicalement. Le vénérable Archie Shepp fut l'un d'eux en 1981, avec son tribute titré My Man. C'est un hommage similaire mais scénique à celui qu'il considère comme un de ses frères en avant-garde que le saxophoniste américain rendra hommage avec un quintet et la chanteuse Marion Rampal. Comme une main tendue à travers le temps par une légende à une autre légende.

Archie Shepp, Tribute to Sidney Bechet
À la Rampe mardi 3 avril à 20h


Clôture survoltée

La dernière soirée de cette édition, construite en deux parties, promet d'être énergique vu les artistes convoqués. Soit d'abord le quartet Sons of Kemet venu de Londres qui confrontera son univers à celui des Sud-Africains de l'énergique compagnie de danse Via Katlehong, qui tourne partout dans le monde – on l'a souvent vue dans le coin. « La rencontre de ces deux univers prendra des allures de cérémonie incantatoire urbaine appelant le public à partager ce moment festif de clôture du festival sur un tempo transe » nous assure le festival.

Ensuite débarquera sur scène le groupe sud-africain Bantu Continua Uhuru Consciousness (BCUC, photo de cet article), entre tradition (notamment zulu) et hip-hop voire punk-rock – ils sont présentés comme un « septet afro-psychédélique », ce qui les résume bien.

Soirée de clôture avec Sons of Kemet, Via Katlehong et BCUC
À la MC2 vendredi 6 avril à 20h30



Babel ouais

Il est dense de chez dense le programme 2018 des Détours de Babel. Comme chaque année en somme. Soit, pendant trois semaines, près de 90 rendez-vous dans l'agglo grenobloise et au-delà, les Détours de Babel n'ayant pas de lieu fixe mais voyageant de salle en salle au gré de la programmation. Même si, cette fois-ci, un camp de base sera proposé tout au long du festival à l'Ancien musée de peinture, place de Verdun, pour accueillir le public et lui offrir diverses animations comme un salon d'écoute.

À noter également la présence renouvelée des formes atypiques que sont les brunchs, et, nouveauté cette année, une nocturne au Musée dauphinois. Soit autant de propositions originales pour donner corps à une manifestation exigeante et pointue mais, et c'est là sa force, ouverte de la plus belle des manières sur le monde.

Détours de Babel
Du vendredi 16 mars au samedi 7 avril


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