"Vent du Nord" : délocalisation mon désamour

Prouvant que la misère est aussi pénible au soleil que dans les zones septentrionales, le réalisateur Walid Mattar offre dans son premier long-métrage un démenti catégorique à Charles Aznavour. Et signe un film double parlant autant de la mondialisation que de la famille. Bien joué.


Délocalisation d'usine au nord (de la France). Grâce aux indemnités qu'il a acceptées, Hervé espère devenir pêcheur et convertir son glandouilleur de fils. Relocalisation au sud (en Tunisie). Embauché, Foued rêve grâce à ce job de conquérir Karima et de disposer d'une mutuelle. Que de rêves bâtis sur du sable…

À l'aube du XXIe siècle néo-libéraliste, quand le capitalisme se réinventait dans des bulles virtuelles, une théorie miraculeuse promettait des lendemains de lait et de miel (un peu comme celle du "ruissellement" de nos jours) : la "convergence". Force est de reconnaître aujourd'hui qu'elle n'était pas si sotte, s'étendant au-delà des contenants-contenus médiatiques. Enfin, tout dépend pour qui… Du nord au sud en effet, l'accroissement des inégalités a depuis fait converger les misères, les plaçant au même infra-niveau social : les contextes semblent différents, mais la matière première humaine subit, avec une sauvagerie identique, le même nivellement par le bas.

Mistral perdant

Sur un thème voisin du maladroit Prendre le large de Gaël Morel sorti l'an passé, Walid Mattar réussit un film social double aux échos profonds et révélateurs. L'alternance des deux décors, liés par mécanique de l'import-export, met subtilement en défaut la géométrie euclidienne professant que les parallèles ne se rencontrent jamais : ici, des situations similaires se répondent de part et d'autre de la Méditerranée et les protagonistes les subissant se croisent au-delà de la métaphore.

Vestiges d'une classe abandonnée, les malheureux héros de Vent du Nord sont de surcroît rattrapés par l'administration qui rogne leurs espoirs de reconversion en réglementant leurs rêves, et pousse sa jeunesse à mettre les bouts. Comme chez Ken Loach, chaque pièce de ce puzzle réaliste est à sa triste mais juste place : Walid Mattar prend le temps d'inscrire Hervé et Foued dans leur cadre respectif. Ces personnages ont une chair et des aspirations concrètes ; des petitesses ou des inconséquences également les éloignant d'une quelconque idéalisation prolétarienne. Et c'est heureux : mieux vaut se coltiner la brutalité du réel que succomber à l'angélisme naïf.

Vent du Nord
de Walid Mattar (Bel-Fr-Tun, 1h29) avec Philippe Rebbot, Mohamed Amine Hamzaoui, Kacey Mottet Klein…


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