"La Route sauvage (Lean on Pete)" : au galop dans la poussière étasunienne

Cavale épique d'un gamin s'étant piqué d'affection pour un canasson promis à la fin dévolue aux carnes hippiques, cette errance pensée par le réalisateur Andrew Haigh est menée par le prometteur Charlie Plummer, prix Marcello-Mastroianni du meilleur jeune espoir à la Mostra de Venise.


Vivant seul avec un père instable, Charley, 15 ans, a su tôt se prendre en charge. À peine arrivé en Oregon, il découvre fasciné le monde hippique et est embauché par l'entraîneur grognon d'un vieux pur-sang, Lean on Pete. Quand il apprend que l'animal est menacé, Charley fugue avec lui.

Rebaptisés en débarquant en France, les films étrangers sont souvent gratifiés d'une dénomination outrepassant la pure traduction. Si la mode est aux franglaisicismes approximatifs (par exemple The Hangover, soit la gueule de bois en traduction littérale, se soigne en Very Bad Trip), autrefois, on aimait embrouiller les spectateurs : connu comme La Cinquième Victime, While The City Sleeps (1956) de Fritz Lang pouvait difficilement être traduit par Quand la ville dort, déjà attribué à Asphalt Jungle (1950) de John Huston !

Parfois, les deux titres coexistent. Et se succèdent comme pour témoigner d'une variété de focalisations ou d'inflexions soudaines à venir. C'est le cas ici où, Lean on Pete (le cheval dont le nom signifie de surcroît "compte sur Pete") aura un rôle de catalyseur pour Charley. Il est donc le point d'origine de La Route sauvage, laquelle renvoie implicitement à La Balade sauvage (1973) de Terrence Malick (Badlands en VO, on s'y perd…), soit à la promesse d'un road-movie.

Selle-de-cheval-de-course-à-pied…

Comme un jeu de piste initial, le titre annonce également les différents mouvements du film, pareils aux allures d'un cheval : trot, galop puis, enfin, pas. Le parcours de Charley connaîtra bien des tumultes avant de parvenir à l'apaisement auprès d'une tante idéalisée – l'ultime vestige de sa lointaine enfance, qu'il pense retrouver grâce à Lean on Pete. Mais, on le sait, l'important est davantage le voyage que la destination. Et la somme de relais qui façonnent l'ado, bouleversant sa trajectoire : les coups de pouce favorables du destin et les anges gardiens, et les mauvaises rencontres risquant de le faire pencher du mauvais côté, voire de lui coûter la vie.

Cavalcade initiatique dans la poussière étasunienne, entre les soirées barbecue-bière chez des bidasses désœuvrés et la promiscuité périlleuse de junkies crevant la misère entre deux sandwiches au secours catholique, La Route sauvage (Lean on Pete) n'en finit plus d'afficher le visage ravagé de l'intérieur d'un pays rouillé par le désespoir et la misère. Où les services sociaux sont fantomatiques, où la fuite solitaire est la meilleure option. À bride abattue.

La Route sauvage (Lean on Pete)
de Andrew Haigh (E.-U., 2h01) avec Charlie Plummer, Steve Buscemi, Chloë Sevigny…


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