Dominique A : vers la noirceur

Avec "Toute latitude",  premier volet de son diptyque 2018 (le deuxième sortira en automne), Dominique A se livre à une nouvelle forme d'introspection combinant l'électronique rêche des débuts en version augmentée et textes au ras de réalités personnelles et universelles qui ne font qu'une. Passionnant ; et à écouter sur la scène de la Belle électrique.


Il y a trois ans, Dominique A livrait avec Eléor un disque d'autant plus doux et rassérénant que sa sortie était concomitante d'une année terrible, empêtrée de drames et de blessures. Un album de chansons voyageuses baignées de cordes enveloppantes qui avait permis à ses auditeurs de respirer un peu en inhalant l'ailleurs fantasmé des grands espaces. Mais en 2018, pour son retour, c'est une toute autre route, une toute autre latitude oserait-on dire, moins tranquille, qu'a prise le Nantais.

D'abord en annonçant la sortie de deux disques, chacun accompagné d'une tournée spécifique : l'un pour le printemps, veiné d'électronique, baptisé Toute latitude donc, l'autre pour l'automne, La Fragilité, tout en dépouillement acoustique – A avait pensé en enregistrer deux autres, l'un en mode spoken-word, l'un plus noise-rock, avant de juger ce projet"quatre saisons" trop ambitieux. Ensuite en proposant, avec Toute latitude, ce qui ressemble autant à un retour sur soi qu'à une avancée en forme de pas de côté.

Un retour sur soi parce que le minimalisme machiniste (un boite à rythme Tanzbär, deux batteurs) de Toute latitude ne pouvait qu'évoquer la mythique Fossette (1992) du sieur Ané. Et parce que les textes raboteux qui l'accompagnent semblent se pencher davantage et plus crûment que par le passé sur leur auteur, entre souvenirs en forme de regrets (Aujourd'hui n'existe plus, Lorsque nous vivions ensemble) et de reniements (Toute latitude et sa conclusion en suspension : « Nous avions toute latitude et toute la vie / Aucun attachement d'aucune sorte / Et pour seule devise peu importe / Mais depuis... ») et cauchemars (la litanie indus de Corps de ferme à l'abandon).

Se décentrer

Mais aussi donc une fuite en avant à l'itinéraire tortueux parce qu'ici l'introspection se fait aussi universelle, parce que la radicalité séminale évoquée plus haut explore la noirceur d'une réalité implacable (symbolisée par Les deux côtés d'une ombre et son murmure d'outre-tombe, inédit chez Dominique A), là où la prose de chanteur a souvent préféré la métaphore. Car le voilà se coltinant par exemple à la question de la migration (le très beau La Clairière) ou d'un monde à la dérive sur La Mort d'un oiseau et Se décentrer.

Se décentrer, c'est ce qu'a voulu faire Dominique A en cette année où, autre symbole, il fêtera ses 50 ans, sur un album qui se clôt sur Le Reflet avec ces mots : « Nous ne serons jamais léger / On pourrait qu'on ne voudrait pas / Mais nous serons toujours sans poids / Face à la première pierre posée ». Comme une transition acoustique et une définition de la fragilité qui donnera son titre au disque annoncé pour l'automne. Cette fragilité-même qui toujours chez Dominique A affleure, que ce soit vers les lueurs ou aux portes d'un trou noir.

Dominique A + Pelouse
À la Belle électrique mercredi 16 mai à 20h


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