Moor Mother : activiste sonique

Artiste engagée aux multiples facettes, l'Américaine Camae Ayewa compose, sous l'alias Moor Mother, une musique expérimentale radicale et avant-gardiste qui emprunte autant à l'afro-futurisme de Sun Ra qu'à la noise et l'électronique. À découvrir au 102.


Pas évident de décrire en quelques mots la musique de Moor Mother : mêlant samples de musiques traditionnelles afro-américaines manipulés au point de devenir méconnaissables, field recording, drone, nappes ambient, rythmiques alambiquées et déflagrations bruitistes, les audacieux collages sonores qui servent d'écrin à son spoken word hanté convoquent un spectre d'influences aussi vaste que sans cesse fluctuant.

Cette ambivalence troublante, qui transforme chacun de ses concerts en expérience unique et provoque chez l'auditeur une sensation de déboussolement, Camae Ayewa ne l'utilise évidemment pas de manière fortuite. Elle s'en sert au contraire comme d'un outil pour créer une sensation d'urgence, et renforcer ainsi l'impact de son propos : partager l'expérience de vie chaotique de la communauté noire défavorisée et violentée dont elle est issue. Plutôt que de céder à la facilité des prêches moralisateurs, elle préfère ainsi créer une immersion viscérale dans un univers ouvertement politique, où les spectres du passé et la dureté du présent se heurtent aux fragments d'un possible futur.

Sur le terrain

Cette approche afro-futuriste, théorisée au sein du collectif Black Quantum Futurism qu'elle a créé avec l'artiste et écrivaine Rasheedah Phillips, Camae Ayewa ne la cantonne d'ailleurs pas à la musique de Moor Mother. Partagée entre une carrière artistique multiforme (poésie, écriture, performances, installations, pièces sonores…) et un engagement associatif au quotidien dans la ville de Philadelphie où elle a élu résidence (animation d'ateliers dans les quartiers pauvres, promotion des musiciens issus de communautés marginalisées), elle semble envisager chaque facette de son travail comme partie intégrante d'un grand tout.

Après une douzaine d'EPs autoproduits et deux albums acclamés par la critique (Fetish Bones en 2016 et The Motionless Present en 2017), on n'est donc guère surpris de la voir aujourd'hui enchaîner les projets collaboratifs, avec l'artiste noise Mental Jewelry (Moor x Jewelry), la productrice de club music DJ Haram (700 Bliss) ou encore le collectif free jazz Irreversible Entanglements.

Moor Mother + Satan
Au 102 dimanche 13 mai à 21h


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