"1918, l'affiche sur les chemins de l'Histoire" : quand les graphistes montaient au front

« Si on avait fusillé les affiches, les hommes seraient restés en vie. » Ponctuée de citations bien senties comme celle-ci de l'écrivain autrichien Karl Kraus, la passionnante exposition du Centre du graphisme d'Échirolles invite à un regard critique sur la période charnière qu'a été la deuxième moitié des années 1910 pour l'histoire du graphisme.


Pas seulement commémorative, l'exposition 1918, l'affiche sur les chemins de l'Histoire a l'ambition de témoigner de la façon dont le graphisme raconte l'histoire mais également dont cette dernière influe sur les productions. En effet, les moyens considérables investis dans la propagande lors de la Première Guerre mondiale ont largement contribué à transformer le domaine de la communication visuelle. Dessinateurs et affichistes de tous bords ont alors rivalisé d'inventivité dans une diversité formelle dont l'exposition rend très bien compte.

La première salle dévoile ainsi comment, en appliquant les techniques de la publicité commerciale au champ du patriotisme, les états-majors inventèrent la propagande. Finis les laïus interminables censés incarner la parole d'État : les communicants adoptèrent des slogans accrocheurs associés à des images fortes qui, tour à tour, firent vibrer la fibre patriotique, convoquèrent la mémoire collective, culpabilisèrent ou émurent le citoyen-spectateur de l'époque… Une constante cependant : c'est une guerre paisible qui était donnée à voir ; quasiment jamais ne furent représentés l'horreur des combats, le désespoir des troupes ou la désolation des champs de bataille.

Femmes au turbin et révolution graphique

La visite se poursuit avec un espace intermédiaire proposant un panel d'affiches de films autour de la Première Guerre mondiale, avant une dernière salle plus thématique et, surtout, passionnante tant du point de vue du fond que de la forme. Un premier mur témoigne des stéréotypes liés à la représentation des femmes confinées au rôle (toutefois louable) d'infirmière-madonne-maternante alors que nombre d'entre elles assuraient également le maintien de la production agricole et industrielle – seuls les Soviétiques ont osé la représentation d'une femme ouvrière !

Plus loin, ce sont les Américains qui retiennent l'attention avec une série d'affiches très "comédie musicale" – surprenant étant donné le contexte. Enfin, sur le mur d'en face, on trouve un remarquable ensemble d'affiches soviétiques chargées de vanter les bienfaits de la révolution à une population majoritairement analphabète. L'audace dont firent preuve ces artistes stimulés par l'émergence d'un nouveau projet de société laisse imaginer la folle énergie créative qui traversait la Russie de l'époque. En mêlant habilement dessin, photographie et typographie, ces avant-gardes contribuèrent tout simplement à inventer ce que nous appelons aujourd'hui communément le graphisme.

1918, l'affiche sur les chemins de l'Histoire
Au Centre du graphisme d'Échirolles jusqu'au vendredi 28 septembre


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