Quilapayún : Chili incarné (et culte)

Figure de la musique et de la gauche chilienne longtemps condamnée à l'exil en France, le groupe Quilapayún, 53 ans au compteur et une discographie pléthorique, fait toujours vibrer les cœurs avec ses chants de résistance universels mâtinés de folklore andin. Le Nouveau Théâtre Sainte-Marie-d'en-bas le programme sur deux soirées.


On le sait : la révolution est à vendre, pour ne pas dire qu'elle gît dans les bacs à soldes. Il n'y a qu'à voir, ou plutôt entendre (écouter serait un bien grand mot), la manière dont Maître Gims et consorts ont désapé comme jamais l'antique chant révolutionnaire Bella Ciao, le transformant en bouillie R'n'B à l'eau de Cologne et piétinant au passage toute la symbolique portée par cet hymne de révolte d'origine italienne.

Certes, ce n'est pas depuis hier que la grosse bouille du Che fait vendre des T-shirts, mais de fait, il en devient presque anachronique de voir toujours se produire un groupe comme les Chiliens de Quilapayún,  dont 53 ans d'existence n'auront pas suffi à élimer l'aura de résistance et l'essence politique.

Fondé en 1965, sous la direction artistique du très populaire chanteur Víctor Jara, grande figure de la gauche chilienne, Quilapayún (« les trois barbus » en mapuche) devient rapidement un incontournable de la "nouvelle chanson chilienne" de l'époque, mélange de sonorités occidentales et d'instruments andins traditionnels.

D'emblée, et dans le sillage de Jara, le groupe s'inscrit tout autant dans le champ politique que poétique, qu'il s'agisse de s'élever contre la guerre du Vietnam ou de soutenir l'élection à la présidence de Salvador Allende en 1971. En 1973, Quilapayún est ainsi nommé par le nouveau président ambassadeur culturel du Chili et s'envole fin août pour une tournée européenne qui passe par la Fête de l'Huma (un triomphe) et l'Olympia. Un voyage qui ne connaîtra pas de retour avant longtemps.

Exil

Entre-temps, le 11 septembre a lieu le coup d'État de Pinochet, à la suite duquel Víctor Jara est torturé et assassiné. Quilapayún se voit condamné à l'exil et obtient l'asile politique en France dans la municipalité communiste de Colombes. Un exil qui n'empêche le groupe ni de tourner, ni de produire de nombreux disques, toujours sur le front de, l'engagement politique.

Paradoxalement, c'est le retour au Chili en 1988, à la fin de l'ère Pinochet, qui voit Quilapayún marquer le pas et même se séparer – jusqu'à un sérieux litige entre les membres du groupe, semblable à celui qui opposa les membres des Beach Boys sur la question des droits d'utilisation du nom "Quilapayún". Mais au début des années 2000, Quilapayún revient sur le devant de la scène avec la reprise de soa grande œuvre Cantata de Santa María de Iquique. Entre hommage à Allende ou Jara et tournée sud-américaine et mondiale, le groupe donne jusqu'en 2012 plus de 200 concerts.

En 50 ans d'existence, fêtés en 2015, Quilapayún a ainsi produit 25 disques, donné 2200 concerts et considérablement marqué la chanson chilienne et la musique pop jusqu'à des groupes indé comme Calexico, incarnant non seulement la mémoire des victimes de Pinochet mais aussi l'une des voix des peuples en résistance et des opprimés. Notamment grâce à l'emblématique El pueblo unido jamás será vencido (« Le peuple uni, jamais ne sera vaincu »), devenu hymne de lutte dans le monde entier et dont on espère qu'il ne tombera pas aux mains de quelque opportuniste le passant à la moulinette de l'auto-tune sous couvert d'en "révolutionner" la forme.

Quilapayún
Au Nouveau Théâtre Sainte-Marie-d'en-bas vendredi 14 et samedi 15 septembre à 20h


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