L'Ampérage a dix ans : « On est un outil de démocratisation culturelle »

Il y a dix ans naissait l'Ampérage, salle de spectacle associative faisant suite à l'Adaep, épisode grenoblois mythique qui a duré 30 ans. À la veille du week-end de festivités prévu vendredi 14 et samedi 15 septembre au soir, nous sommes allés rencontrer, au bout du cours Berriat, plusieurs membres du Stud, association qui gère l'Ampérage, afin qu'ils nous racontent en quoi leur projet est « un bastion à défendre ». Magnéto.


En photo,  cinq membres de l'Ampérage, devant la salle et avec le soleil dans les yeux : la boss Laurence Tadjine, le p'tit nouveau au CA Mathis Alves, la chargée de com Alexandrine Rivolta, le membre du CA Maël Pierre-Gérard et le régisseur et programmateur David Bonnat 

Le projet Ampérage

Maël Pierre-Gérard, membre du conseil d'administration du Stud et de l'association Carton-Pâte Records : « Le projet de l'Ampérage est de développer des acteurs locaux pour qu'ils puissent se professionnaliser. Dans une salle de concert classique, tu as un programmateur qui va programmer des têtes d'affiche et parfois des petits groupes locaux. Nous, on programme des associations qui, elles, font valoir leurs idéaux culturels et partagent ainsi leurs envies de programmation, que ce soit des têtes d'affiche ou des artistes émergents. »

Laurence Tadjine, directrice du Stud, association gestionnaire de l'Ampérage : « Notre programmateur reçoit les demandes des associations qui souhaitent organiser des événements culturels à l'Ampérage. On fonctionne en coréalisation, c'est-à-dire en partage de billetterie. Nous assurons la salle au niveau du matériel, du personnel ou encore des taxes – on a par exemple un forfait Sacem pour que les associations n'aient pas à payer ça seules. On participe en gros à 50 voire 60% du budget de production des événements. »

Maël Pierre-Gérard : « C'est un mode de fonctionnement assez rare dans une salle de concert. »

Laurence Tadjine : « Ce type de fonctionnement reste un bastion à défendre pour que l'émergence soit toujours possible. Car on est vraiment un outil de démocratisation culturelle. On est parfois le dernier espoir de ceux qui viennent nous voir. »

Alexandrine Rivolta, chargée de communication et de programmation de l'Ampérage (mais qui quitte son poste en ce début de saison) : « On est un lieu alternatif, voire un lieu des possibles ! »

Pour quelle programmation ?

Maël Pierre-Gérard : « On a une identité pluridisciplinaire forte, l'Ampérage a toujours revendiqué ça et, finalement, quand on parle avec le public, c'est ce qu'il aime. On nous dit par exemple : je vous ai découvert avec une soirée trance, j'ai regardé le programme, et je suis revenu la semaine d'après avec des potes qui aiment le métal… »

David Bonnat, régisseur et programmateur de l'Ampérage : « Il y a de tout, certes, mais il y a quand même plus de rock et d'électro, parce que les acteurs culturels en ce moment sont très rock et électro. Si on avait énormément de demandes sur le reggae, on en ferait plus. »

Maël Pierre-Gérard : « On a quand même du théâtre le dimanche, on avait les Dynamita's Nights qui faisaient de la funk… On a maintenant des soirées queer. On est vraiment généralistes. »

La philosophie Ampérage

Alexandrine Rivolta : « Les gens viennent aussi pour la salle : ils savent qu'ils vont être bien accueillis, qu'ils vont passer une bonne soirée. Côté capacité, on est à 325 en sound system et 280 en mode concert. Pour le public c'est dingue, c'est comme si les artistes jouaient dans leur salon ! »

Maël Pierre-Gérard : « On n'est pas une discothèque où les gens doivent venir bien habillés. Vu qu'on est pluridisciplinaire culturellement parlant, qu'on est ouverts à tous les projets, on ne veut pas dire au public : ah bah non, toi t'as des baskets, on ne te laisse pas rentrer. Notre côté un peu grunge, "do it yourself", fait partie de l'identité du projet. »

Le fonctionnement Ampérage

Laurence Tadjine : « On a un statut d'association loi 1901. Économiquement, on est à 60% de recettes propres – 326 510 euros en 2017. On est obligés de compter sur le bar, ce qui n'est pas toujours très valorisant – ce côté "culture biture" où on se dit que si on vent moins d'alcool on a moins d'argent. Mais c'est une réalité de notre mode de fonctionnement. On a aussi des subventions publiques – on parle de 127 000 euros sur un budget total de 538 480, autant dire que ce n'est pas beaucoup. La répartition, c'est 90 000 euros de la Ville de Grenoble, qui nous suit fortement depuis le démarrage du projet en 2008 même si on espère un jour arriver aux 100 000 euros ; 19 000 du Conseil général de l'Isère avec qui on avait pourtant démarré très haut ; et 18 000 de la Région qui nous suit depuis l'ouverture. »

En coulisses

Laurence Tadjine : « Concrètement, dans l'équipe, il y a sept temps plein et un 24 heures. Soit un régisseur programmateur, un régisseur de week-end, un community manager, un barman, un agent d'entretien et une direction. Il y a un gros manque au niveau accompagnement et secrétariat : il nous faudrait clairement deux autres postes. Car notre difficulté est la masse salariale, comme le projet est très foisonnant – on est à 14 dates en moyenne par mois pour 22 000 spectateurs par an, donc c'est énorme. On fait énormément de choses au niveau de l'accompagnement des porteurs de projets, de leur structuration, sur la production… Et on n'a pas assez de monde pour faire tout ça ! »

Le quartier Chorier-Berriat

Laurence Tadjine : « L'aménagement du territoire qui a été fait dans ce quartier, c'est un vrai pari politique. On venait ici il y a 25 ans, c'était le bout du monde, il n'y avait rien. Maintenant, c'est un deuxième centre-ville ; nous, on est très contents. Alors oui, ça a été tendu fut un temps avec les voisins, mais aujourd'hui on ne m'interpelle plus dans la rue. Et les personnes qui viennent habiter ici savent maintenant dans quel quartier elles vont. Le souci, c'est plus pour ceux qui sont là depuis plus de 20 ans et qui ont subi le déploiement du quartier sans forcément le vouloir. »

Retour sur 10 ans d'Ampérage

Laurence Tadjine : « C'est bien d'avoir dix ans, car maintenir un tel projet pendant tout ce temps, ce n'est pas rien ! »

Maël Pierre-Gérard : « On est vachement fiers de voir tous les projets qui ont été accomplis ici, de les avoir vu passer d'une bande de potes qui montent une association à des choses grandes comme, par exemple, le Hadra Trance Festival. »

Laurence Tadjine : « Dans le même ordre d'idées, il y a l'association Retour de scène [spécialisée dans le booking et la promotion d'artistes émergents – NDLR]. Ils sont arrivés jeunots au début de l'Ampérage, et je me suis dit qu'ils iraient loin. La salle a été un très bel outil pour eux, on les a accompagnés, et voilà le résultat aujourd'hui : je ne me suis pas trompée ! Mais il y a aussi les Dynamita's Nights, qui sont aujourd'hui à la Belle électrique, ou les collectifs fanfares, qui n'avaient pas de lieu. Et pour les groupes, la liste est super longue, comme beaucoup ont débuté ici, notamment dans les scènes jeunesse. »

Le week-end des 10 ans

David Bonnat : « On organise deux soirées au tarif archi-accessible de 5 euros. Le vendredi, on aura des groupes locaux qui représentent un beau panel de ce que l'on défend à l'Ampérage. Et le samedi, ce sera une soirée électro. »

L'avenir de l'Ampérage

Laurence Tadjine : « On aimerait faire évoluer la salle techniquement. Et bien sûr maintenir le projet. Après, on est locataires des murs à une SCI, et on sait que, peut-être qu'un un jour, il y aura une préemption du bâtiment [qui fait un peu vestige anachronique en bordure d'un quartier en plein renouveau – NDLR]. Nous, on a toujours dit que, malgré l'essence des murs, le projet était un projet et non la salle physique. Un projet que l'on pourrait aller développer n'importe où ailleurs. Mais si la préemption arrive un jour, on sollicitera le politique pour le continuer. »

10 ans de l'Ampérage
Vendredi 14 (soirée concert) et samedi 15 septembre (nuit électro)


Ampérage, Stud, Adaep ?

Sur Facebook, l'Ampérage s'appelle encore l'Ampérage Ex-Adaep, preuve que le lien avec l'aventure précédente est toujours fort – même si, après dix ans d'Ampérage, la référence à l'Adaep (Association pour le développement des arts et expressions populaires), qui ne parle pas forcément aux nouveaux publics, devrait disparaître. Laurence Tadjine remonte le fil de l'histoire. « En 2007, l'Adaep a subi une liquidation judicaire pour non-paiement de charges – ils étaient sur une toute petite économie, presque de l'autogestion. Donc il y a eu une mobilisation de la fédération d'associations qui composaient le projet et qui a décidé de monter au créneau. Ils ont appelé Gilles Rousselot, un administrateur professionnel qui a défendu le projet pour qu'il perdure et qui est allé chercher des financements. » Mais l'aventure, vieille de 30 ans, a bougé, d'où le changement de nom. « Il a ensuite été voté que le lieu ne serait plus autogéré mais géré par une équipe, pour justement permettre le tout-venant et non la mainmise d'une salle par quelques associations. Le Stud est alors né. » Et la salle Ampérage dans la foulée.


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