"Un peuple et son roi" : astre déchu

Dans cette fresque révolutionnaire entre épopée inspirée et film de procédure, Pierre Schoeller semble fusionner "Versailles" et "L'Exercice de l'État", titres de ses deux derniers longs-métrages de cinéma. Des moments de haute maîtrise, mais aussi d'étonnantes faiblesses. Fascinant et bancal à la fois.


1789. La Bastille vient de tomber, et le roi quitte Versailles après avoir signé la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen soumise par l'Assemblée. Dans les rues de Paris, la famille d'un souffleur de verre est portée par ce vent d'espérance. Et si le peuple avait enfin voix au chapitre ? Moment-clé de notre histoire, tournant civilisationnel du fait de sa résonance sur les nations voisines, de son potentiel dramatique et de ses conséquences contemporaines, la Révolution française constitue un morceau de choix pour tout amateur de geste épique, de combats d'idées et d'élans tragiques.

Filmer l'exaltation d'une guerre civile éclatant sous l'auspice des Lumières et la conquête de la liberté par le peuple a déjà galvanisé Abel Gance, Sacha Guitry ou Jean Renoir. Comme eux, Pierre Schoeller rallie ici la quintessence des comédiens de son époque : le moindre rôle parlé est donc confié à un·e interprète de premier plan – Gaspard Ulliel, Adèle Haenel, Olivier Gourmet, Louis Garrel,  Izïa Higelin, Laurent Lafitte, Denis Lavant... Le défilé en est étourdissant, mais pas autant que celui des députés ayant à se prononcer par ordre alphabétique de circonscription et à haute voix sur la mort de Louis XVI dans une séquence aussi édifiante que captivante, renvoyant chacun·e à son intime conviction quant à la nécessité d'infliger la peine capitale. 

Silence, on coupe !

Sa puissance rend bien anecdotiques les mésaventures du verrier et de sa troupe, "roturiers témoins" commentant avec une subtilité relative les événements sous un déluge de symboles. Ces derniers, au lieu d'être en retrait, dans l'infra-texte et la toile de fond, s'affichent avec insistance au premier plan, en déclinant le soleil dans toutes ses saveurs – lumière, chaleur, éclipse… La légèreté pachydermique du procédé tranche avec les habitudes de Schoeller, plus enclin à recourir aux métaphores percutantes ou aux images oniriques – il y en a ici d'ailleurs quelques-unes shakespeariennes en diable, comme la visite nocturne des ancêtres de Louis XVI ou son ultime regard sur son peuple. 

On aurait beaucoup aimé aimer davantage ce film, piégé par des poussées de didactisme et sa brièveté ; c'est une série qu'il aurait fallu pour donner de l'air aux ambitions de Schoeller, et plus de chair à cette foule de personnages. Hélas, on sent que la guillotine a dû aussi sévir en salle de montage…

Un peuple et son roi
de Pierre Schoeller (Fr, 2h01) avec Olivier Gourmet, Laurent Lafitte, Louis Garrel, Gaspard Ulliel, Adèle Haenel…


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