Révolution, piège à sons avec Motorama

Adepte du changement dans la continuité mais du changement quand même, le groupe russe fait de disque en disque à la fois sa perestroïka et sa révolution de velours. Un mouvement dont le dernier album "Many Nights" marque à la fois l'avancée et la synthèse. Rendez-vous au Ciel pour s'en rendre compte, grâce à l'association Plege.


Si Ian Curtis n'était pas mort, il est probable que New Order n'eut jamais existé. Mais au jeu du « what if ? », qu'en aurait-il été si, Ian Curtis toujours vivant, Joy Division avait tout de même effectué sa mue en New Order ? Tenter de répondre à la question revient à tenter de résoudre tous les paradoxes temporels et à mettre un peu vite de côté la personnalité hors norme de celui qui portait un blouson avec écrit haine dans le dos.

Pourtant, même si à un degré moindre, ce que nous montre avec son album Many Nights un groupe comme Motorama, sans doute la plus impressionnante formation rock venue de Russie ces dernières années, c'est que l'on peut opérer en douceur ce genre de mutation sans changer de leader charismatique ni même de nom. Sans recourir de manière martelée à la nécessité d'un ordre nouveau. Simplement en ouvrant grand la porte, les fenêtres, et au fond tout ce qui s'ouvre aux quatre vents de sa sensibilité.

Celle de Motorama qui, s'il n'a pas perdu son frontman Vladislav Parshin, est désormais rendu à une formation en trio, est ici exacerbée, se nourrissant, du propre aveu du groupe, du travail du compositeur avant-gardiste soviétique Edouard Artemiev (qui composa beaucoup pour le cinéma  pour Tarkovski, Mikhalkov, Kontchalovski et d'autres moins connus sous nos latitudes), de percussions africaines (Many Nights est parfois agité d'un groove irrésistible) et de clins d'œil à la nostalgie lumineuse de la scène néo-zélandaise de Dunedin (The Bats, The Chills, The Clean, Garageland...) qui fit les beaux jours de l'indie-rock dans les années 1980 et 1990.

Fer au feu

Cela, on peut sûrement l'expliquer par l'atavisme d'un groupe né dans une ville-frontière : Rostov-sur-le-Don, longtemps baptisée « la porte du Caucase », avec sa rive européenne et sa rive asiatique, et empreinte de l'esprit aventurier des cosaques. Tout se passe comme si Motorama avait donc toujours un fer esthétique au feu (qu'il faudrait refroidir dans l'eau glacée de sa cold wave originelle), toujours un pied ici et l'autre ailleurs, géographiquement, temporellement et artistiquement, entre tiraillement et dialectique fondatrice.

C'est certainement ce qui donne souvent l'impression que Motorama livre toujours un peu le même album jusqu'à ce que l'on se penche sur les détails et les variations qui le constituent. Lesquels font que le groupe n'est ni tout à fait lui-même, ni tout à fait un autre, mais situé dans un interstice ténu entre le nouvel ordre et l'ancien, suffisamment grand malgré tout pour laisser passer une lumière qui le révèle différemment.

Motorama + Houra
Au Ciel lundi 29 octobre à 20h30


<< article précédent
Festival du film pour enfants : à 20 ans, on est toujours un enfant