Corps croisés au Mois de la photo de Grenoble

Avec une multitude de propositions, le Mois de le Photo, organisé par la Maison de l'Image de Grenoble, est l'occasion rêvée de se faire une cure photographique. Après débroussaillage et repérage dans le vaste programme, nous avons sélectionné quelques-unes des expositions qui ont accroché notre regard. Dont, forcément, celle, place forte de l'événement, proposée à l'Ancien musée de peinture autour du « corps en présence ».


Chaque année, le cœur battant du Mois de la photo se trouve dans le magnifique (même si plus très en forme) Ancien musée de peinture, place de Verdun. Pour cette édition, le parcours débute avec une présentation des cinq lauréats de l'appel à photo organisé par la Maison de l'image autour du thème « corps en présence ».

Ô joie, c'est avec deux propositions inattendues et réussies que s'ouvre la sélection. Dans ses photos, Pablo-Martín Córdoba a enregistré le flux des citadins canalisés par les espaces architecturaux, tandis que Gilberto Güiza-Rojas propose de sobres mais percutantes mises en scène interrogeant la place du corps dans le monde du travail – anonyme pour les uns, bête de somme pour les autres. Autre bonne surprise : plus loin, immergé dans des raves-party dionysiaques, Étienne Racine nous crache à la figure des corps imbibés d'alcool et ruisselants de sueur – à l'opposée de l'imagerie aseptisée des corps stéréotypés de la pub et du cinéma.

Puis le parcours continue avec la carte blanche italienne qui présente Giovanni Sesia et Giovanni Mereghetti : deux photographes qui ont pour point commun de tourner leur objectif vers ces corps qu'on dissimule aux yeux de la société et qui, pourtant, sont en permanence sous ceux de leurs « gardiens » : les détenus d'une prison et les patients d'un hôpital psy.

Catalogue Ikea déviant

Clou du parcours, la visite se conclut avec l'imposante série Silent dialogs de Viktoria Sorochinski, photographe internationalement reconnue mais peu exposée en France. L'artiste, invitée d'honneur de ce Mois de la photo, met en scène des personnes, accompagnées de leurs proches, dans leur espace de vie intime. Les regards désespérés, agacés, songeurs ou haineux laissent alors transparaître et imaginer de possibles situations conflictuelles.

Loin d'être répétitives, ces photographies oscillent entre surréalisme (la présence récurrente d'inquiétants poupons y contribue) et documentaire social (plusieurs couples transpirent la détresse). L'ensemble de ces mises en scène, dont les jeux de lumière accentuent la dimension factice, a des allures d'iconographie échappée d'un catalogue Ikea déviant où la vie, et donc les problèmes, se seraient subrepticement glissés dans les images. Glaçant.

Mois de la photo
À l'Ancien musée de peinture jusqu'au dimanche 25 novembre


Mais aussi

À la galerie Ex Nihilo

Voilà une expo aussi concise que réussie qui rassemble quatre jeunes photographes italiens aux approches très diverses. On retiendra, côté reportage, les travaux de Marco Ponzianelli qui s'intéresse à un sport florentin à mi-chemin entre lutte et football. Les vêtements traditionnels et les architectures classiques contrastent magnifiquement avec la peau burinée et les visages tuméfiés de ces sportifs dont le regard abruti de fatigue contredit l'extrême tension musculaire qui traverse leurs corps.

Côté mise en scène, Vania Broccoli présente une série de portraits réalisés en collaboration avec les patientes d'un centre psychiatrique. Il se dégage de ces images aux couleurs vives une énergie débordante qui témoigne certainement du plaisir de ces personnes, souvent ignorées de la société, à se donner à voir sous un jour nouveau.

Jusqu'au 17 novembre

À la maison natale de Stendhal

Ici, un accrochage s'accommodant tant bien que mal des contraintes du lieu (ce sont les bureaux du Printemps du livre de Grenoble) présente sept photographes italiens plus classiques qui portent un regard intimiste sur leur pays. Outre le magnifique Venise nocturne de Mario Vidor, la Sicile baignée de soleil de Giuseppe Leone et les murs décrépis d'un établissement pénitentiaire abandonné de Roberto Venegoni, on retient l'intensité graphique des arbres qui surgissent dans les paysages hivernaux de Renato Luparia ainsi que l'atmosphère et la fragilité saisissante des images de Claudio Argentiero qui, parti sur les traces de Verdi, réalise ses clichés par temps brumeux, alors que les fragiles premiers flocons commencent à tapisser le sol.

Jusqu'au 17 novembre

Mais encore

À la galerie-café la Vina (jusqu'au 1er décembre), Ugo Panella dévoile le sort et le visage de femme bangladeshies victimes d'attaque à l'acide pour avoir refusé de se soumettre à l'ordre patriarcal qui leur est imposé. Un reportage choc qui a contribué à transformer la législation locale qui, depuis, condamne sévèrement ces crimes.

Au Totem à Grenoble (jusqu'au 25 novembre), une expérience étonnante mêlant photographie et hypnose qui permet à Mathieu Genty de faire tomber le masque social que le sujet photographié adopte instinctivement devant l'objectif.

Enfin, à la librairie les Modernes (jusqu'au 30 novembre), la palme de l'accrochage le plus original avec un mur et une vitrine de photos-sculptures revient à Jean Pierre Angéi qui parvient à produire de paradoxales images charbonneuses de paysages enneigés.


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Un Festival international de théâtre action « pour avoir un regard sur le monde »